Sous l’impulsion de Messali et de ses lieutenants originaires de Kabylie,
Amar Imache et Radjef Belkacem, l’ENA renaît de ses cendres en 1933.
L’organisation se dote d’un programme d’inspiration démocratique et
socialiste, dont la réforme agraire, l’unité nord-africaine et la lutte pour
l’indépendance sont les principes directeurs. La nouvelle Étoile se prononce
pour un gouvernement issu de l’élection d’une Assemblée constituante.
Mais un tournant d’inspiration religieuse est nettement perceptible. Le
journal a pour titre El-Oumma (La Communauté des croyants) et porte en
manchette une citation du prédicateur égyptien Cheikh Abdu : « Le vrai
patriotisme dans l’islam est celui qui se manifeste dans l’action. » Les
références à l’islam, à l’arabisme apparaissent également dans les rapports
avec l’émir Chekib Arslan, propagandiste qui publie à Genève La Nation
arabe, et avec qui Messali entretient une correspondance suivie. Les
premiers indépendantistes algériens fonctionnent au plan organisationnel
sur le modèle communiste (mises en place de « cellules » et d’un « comité
central », fonctionnement du « centralisme démocratique » et interdiction
des tendances), tout en entrant en rivalité avec les communistes. Messali
Hadj fait ainsi voter l’interdiction de la double appartenance entre PCF et
ENA. Il devient le chef d’un nationalisme à base ouvrière, mais aussi arabomusulman. Menacée de poursuites, l’ENA prend en juillet 1934 le nom de
Glorieuse Étoile nord-africaine, sans modifier le bureau que préside Messali
Hadj.
Implantée à Paris, Lyon, Poitiers, Limoges et Saint-Étienne,
l’organisation mène campagne contre l’occupation de l’Éthiopie par l’Italie
mussolinienne, participe au rassemblement de la gauche française pour le
Front populaire. Messali se réfugie à Genève en 1935 pour échapper à des
poursuites judiciaires. Il rentre à Paris le 10 juin 1936, quand la victoire
électorale du Front populaire lui vaut l’amnistie. Le leader algérien
maintient l’objectif de l’indépendance, et se prononce contre le projet
Blum-Viollette qui préconisait l’accès à la citoyenneté française pour
quelque 20 000 Algériens musulmans. Il se rend à Alger le 2 août 1936 au
moment de la tenue du Congrès musulman algérien et y déclare : « Cette
terre est à nous, nous ne la vendrons à personne ! » Ce discours lance le
mouvement indépendantiste sur la terre algérienne. L’Étoile est dissoute par
le Front populaire en janvier 1937.
En mars 1937, Messali annonce la fondation du Parti du peuple algérien
(PPA). Le programme affirme défendre « le petit commerce, l’artisanat, les
ouvriers, les petits fellahs, les étudiants, les professions libérales ». Le PPA
se montre interclassiste et plébéien, en se référent au « peuple » comme
valeur suprême. Messali Hadj devient le responsable d’un nouveau parti
politique révolutionnaire, à base d’islam et de socialisme. Il entend se
distinguer du républicanisme assimilationniste porté par le leader Ferhat
Abbas, et du culturalisme religieux véhiculé par les oulémas du cheikh Ben
Badis.
Les organisations algériennes se développent au moment de l’arrivée de
la première grande vague de l’immigration algérienne en France dans
l’entre-deux-guerres.
Les Algériens viennent un peu de l’Oranie et du
Constantinois, surtout de la Kabylie, endroit où l’émigration a été la plus
ancienne et la mieux organisée : « En 1938, parmi les 80 000 NordAfricains travaillant en France, on comptait à peu près trois quarts de
Kabyles », note le démographe Louis Chevalier.
Les Algériens se
concentrent surtout à Paris et en région parisienne, où vivent environ la
moitié d’entre eux vers 1930. La force d’attraction du marché parisien est
bien réelle et supplante les circuits traditionnels du midi de la France. Elle
s’exerce sur les campagnes algériennes, où un émigrant tire l’autre. Cette
immigration algérienne est composée presque exclusivement d’hommes
jeunes. Retranché dans son logement-hôtel qui donne quelquefois sur une
cour peuplée de gens du même douar que lui, l’immigré algérien ne quittera
pas ce quartier qu’il considère comme son nouveau village.
« Les conditions très rudes dans lesquelles ces hommes subsistaient,
voués, d’une part, par leur désir d’épargne aux plus sévères privations,
largement exploités de l’autre par un mercantilisme impitoyable, en avaient
fait un prolétariat particulièrement misérable. » C’est en ces termes qu’un
rapport policier, établi en 1934, décrit les conditions de vie et de travail des
immigrés algériens à Paris.
La situation du logement à Paris est très précaire
(entassement dans des cafés-hôtels, naissance des bidonvilles à la périphérie
parisienne dès cette époque), les maladies se développent. La tuberculose
est la cause de la moitié des décès des Algériens de vingt à trente-neuf ans.
En butte à toutes sortes de tracasseries administratives et policières, projeté
dans un paysage social inconnu, chacun des immigrés se retrouve
progressivement de plus en plus seul. C’est dans cette situation que les
cafés se multiplient, indispensables, bureaux de placement parfois, refuge
pour des hommes qui aiment à se retrouver entre eux en parlant du pays, à
écouter de la musique orientale. Ils seront aussi les seuls lieux de réunions
politiques possibles pour ces travailleurs déracinés, noyaux de solidarité et
lieux de prière.
Benjamin Stora
Histoire de l’Algérie à la période coloniale ( pp 691 692 693 )
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