le dernier message
Je me suis pris à espérer dans un avenir où nous ne serons séparés ni par l’injustice ni par la justice
C’est là le dernier message que je tiens de Camus.
Il date de plusieurs mois et, dimanche soir, cette phrase s’inscrivait pour moi dans un ciel sombre, chargé d’orage, qu’elle striait comme un éclair rapide , un trait éblouissant à la fois fragile et dense qui venait souligner avec une rigoureuse exactitude l’appel au calme lancé, toutes les dix minutes, par le délégué général du gouvernement en Algérie :
C’est avec une grande émotion que je reprends la parole ce soir. Malgré les appels publics et les adjurations privées que nous avons multipliées, le commandant en chef et moi, et avec tous les chefs militaires, ce que nous avons tout fait pour éviter est arrivé : le sang a coulé..."
Il en est souvent ainsi.Je songe à Camus et à ceux dont il ne me reste plus qu(’a vénérer la mémoire, à ceux dont je suis momentanément séparé et qui demeurent des amis très chers.Je songe à eux quand l’aveuglement et la bêtise déchirent un peu plus mon pays meurtri, quand l’entêtement appelle la catastrophe et qu’il n’y a plus pour nous d’autre possibilité de recours que la soumission à la force.Car nous en sommes là en ce moment et nous nous préparons, la corde au coup, à aller demander humblement pardon d’avoir douté de nos maîtres.
Mouloud Feraoun
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