clan d'Oujda
 Evoquer Boumediène revient aussi à parler de son entourage. Il est impensable de se rappeler Houari Boumediène sans mentionner le clan d’Oujda, ce groupe de personnes dont il a été le mentor et le chef et sur lequel il s’est appuyé pour asseoir son pouvoir.

C’est ce noyau d’Algériens nés au Maroc, qui compte
à son actif deux putschs, qui a permis à Boumediène de parvenir à ce destin de chef d’Etat de l’Algérie indépendante. Houari Boumediène était chef
de la Wilaya 5 et installa son QG dans la ville
marocaine frontalière avec l’ouest du pays, Oujda. Tout comme
Boussouf pour le MALG, Boumediène recruta des alliés parmi ces
Algériens du Maroc pour l’état-major général de l’ALN. 

Le premier
s’en servit pour porter le premier coup de l’armée contre les politiques en assassinant Abane Ramdane, et le second y trouva un appui
pour porter le deuxième coup de force de l’armée contre le FLN en
s’attaquant au Gouvernement Provisoire de la République Algérienne
(GPRA). Le groupe d’Oujda est entré de la sorte par effraction dans
l’histoire de l’Algérie et il signera, avec Boumediène à sa tête, l’acte
de naissance du régime algérien. 

 CES ALGÉRIENS DU MAROC NOMMÉS WASTI 

Les membres du groupe ou clan d’Oujda sont désignés comme ceux
qui sont nés ou ayant vécu au Maroc avant 1962. Les "wasti", en référence à la position géographique de l’Algérie au centre du Maghreb,
ou encore "deuxième francis, français de seconde catégorie", comme
aimaient à les qualifier les Marocains, sont des Algériens qui sont nés
au Maroc avant le déclenchement de la guerre de libération. Après la
soumission de l’Emir Abdelkader en 1848, puis la défaite des soulèvements des Ouled Sidi Echeikh puis de Bouamama, une communauté algérienne s’est installée dans le pays voisin de l’Ouest. Une
autre communauté enrôlée quant à elle dans l’armée française pour
imposer le protectorat au Maroc y a aussi trouvé asile. Une troisième
migration d’Algériens a quant à elle rejoint le Maroc, après 1954 par
fuite des représailles de l’armée française. 

Le clan d’Oujda s’est bâti
toutefois sur la première communauté d’Algériens au Maroc, qui était
une communauté de petite bourgeoisie francophone composée soit de
propriétaires terriens ou d’auxiliaires de l’administration marocaine.
Cette dernière communauté trouva sa place dans les rangs de l’armée,
de la sécurité militaire et du FLN. Le colonel Bencherif estime le
nombre d’Algériens rentrés du Maroc en 1962 à pas moins de 10000
hommes. Le travail commencé par le MALG de Boussouf au milieu
des années 1950 a connu une suite avec Boumediène qui introduisit
la logique des clans pour accéder au pouvoir. Entouré d’Ahmed
Medeghri, Kaid Ahmed, Cherif Belkacem, Abedlaziz Bouteflika,
Boumediène créa le groupe d’Oujda. 

Les "malgaches" de Boussouf se
fondèrent dans ce qui est devenu plus tard le clan d’Oujda. Le régionalisme s’est érigé en règle d’appartenance à ce clan. "Mohamed
Boukharouba s’affubla d’un nom de guerre qu’il emprunta au saint
légendaire Boumediène, très connu dans l’Oranie, et du prénom de
Houari, très répandu dans cette même région… dans le régionalisme
qui sévissait dans l’armée des frontières, être à la fois, saint et oranais,
c’était avoir toutes les chances avec soi"(1).
Le groupe d’Oujda, sous les commandes de Boumediène et toute l’armée des frontières, attendait la fin de la guerre de libération qui avait
éprouvé les moudjahidines de l’intérieur du pays dans la lutte contre
l’armée coloniale pour pouvoir entrer en jeu. Laissant les politiques
se charger des négociations d’Evian, et après la sortie des cinq historiques de prison, l’état-major général sous Boumediène trouve le
moment propice pour actionner le coup d’Etat contre le GPRA. Pour
donner du poids à ce coup de force, il fallait une couverture politique
via un des historiques. Seul Ben Bella, animé aussi par l’amour du
pouvoir, accepta l’offre de l’EMG. En légalistes, Aït Ahmed et
Boudiaf refusèrent de cautionner le putsch. "L’armée de Boumediène
avait un double atout considérable : sa force et son unité favorisées
par un long travail d’endoctrinement. Mais elle n’avait que peu de
répondants dans la société algérienne et son leadership était rejeté par
plusieurs wilayas. Il fallait à Boumediène de bien faire jouer le prestige de Ben Bella pour s’implanter politiquement "(2).
Afin de donner du crédit aux putschistes, un autre groupe baptisé
“groupe de Tlemcen”, en opposition au groupe de Tizi Ouzou qui
était sous la coupe de Krim Belkacem, fut créé et mit au point la naissance du Bureau politique, un instrument politique pour le dénigrement du GPRA. 

Le groupe de Tlemcen regroupant Ben Bella, Khider,
Mohammedi, Ferhat Abbas, Ahmed Boumendjel et Ahmed Francis a
formé un duo avec le groupe d’Oujda pour mettre au pas les commandements des wilayas historiques notamment la III et la IV. Ben
Bella était tout désigné pour devenir le premier président de l’Algérie
indépendante sous la bénédiction de l’EMG de l’ALN qui marcha sur
Alger pour accéder au "trône". 

La Zone autonome d’Alger sous Yacef
Saâdi ouvrit grandes les portes de la capitale à la coalition
Boumediène-Ben Bella au prix de plusieurs morts du fait d’affrontements avec les troupes de la Wilaya IV qui étaient ralliées au GPRA.
Le cri "sept ans ça suffit" des populations a fini par mettre fin aux
hostilités. 

L’armée des frontières réussit son coup et pénétra d’un pied
ferme dans ce qui est devenu le pouvoir algérien, sur des centaines de
cadavres. Dans la nuit du 28 au 29 septembre, Ben Bella, candidat
unique, fut élu par l’Assemblée, chef d’un gouvernement de 19 portefeuilles. Boumediène qui s’adjugea l’important poste de ministre de
la Défense, proposa 4 postes : deux pour ses compagnons de l’armée
des frontières d’Oujda, à savoir Bouteflika et Medeghri et deux autres
pour l’armée des frontières de l’Est, à savoir Moussa Hassani et le
docteur Nekkache. 

Le putsch servit l’armée qui, depuis l’indépendance, a joué la carte de l’unité face aux divisions politiques. "Le clan
d’Oujda s’était ouvert au recrutement intensif de "soldats" venus des
rangs de l’ALN, tout comme les "marsiens" de tout bord avaient pris
d’assaut les administrations, étaient avant tous des éléments opportunistes sans aucune conviction politique ou idéologique. 

Ils étaient
recrutés non pas pour faire la guerre mais pour construire le nouvel
Etat "(3). Avec les recrues du MALG de Boussouf devenu Sécurité
militaire, et à leur tête Kasdi Merbah, et les tacticiens politiques de
son groupe d’Oujda, Boumediène n’avait plus qu’à laisser mijoter son
accession à la tête de l’Etat. 

 LA FIN D’UNE COLLÉGIALITÉ 

 Dans le deuxième gouvernement de Ben Bella, Cherif Belkacem et
Kaïd Ahmed sont nommés ministres et Boumediène fut nommé 1er
vice-président de la République. En sus de leurs responsabilités gouvernementales, respectivement la Défense nationale, l’Intérieur et les
Affaires étrangères, Boumediène, Medeghri et Bouteflika firent leur
entrée au Bureau politique. A l’heure où Kaïd Ahmed et Cherif
Belkacem étaient désignés respectivement, ministres du Tourisme et
de l’Orientation nationale et membres du Comité central. 

 Sentant son pouvoir personnel menacé par les ambitions grandissantes du clan d’Oujda, Ben Bella œuvra à la mise à l’écart de ses
anciens compagnons de la course au pouvoir. "Président de la
République, chef du gouvernement, secrétaire général du FLN, il s’attribue les portefeuilles de l’Intérieur, des Finances, de l’Information".
Après Kaïd Ahmed, Medeghri, puis Belkacem Chérif, le tour du
ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika, arriva pour se
voir retirer son poste. 

Le groupe d’Oujda se réfère à son chef, Houari
Boumediène afin de mettre un terme aux attaques de Ben Bella. Le
coup d’Etat du 19 Juin 1965 a été la réponse de celui qui devint le
deuxième président de l’Algérie. Mais la logique du clan ne durera
pas face à la logique de l’intérêt personnel. La fin de l’union du groupe d’Oujda sous Boumediène ne tardera pas à se manifester. 

En pleine campagne des nationalisations, le divorce de Boumediène d’avec
ses anciens compagnons d’Oujda ne tarde pas à être prononcé. "Les
raisons ne manquaient pas : choc des caractères, rivalités incontrôlables, apparition de nouveaux cadres politiques, radicalisation des
réformes, domination écrasante de Boumediène et bien d’autres encore ont fini par entamer le pacte de fer qui liait les membres du groupe d’Oujda"(4). 

L’histoire n’a pas encore tout dit sur cette dislocation
du groupe d’Oujda, mais des supputations sont émises. La révolution
agraire avait entamé la relation privilégiée des membres du groupe
d’Oujda avec leur mentor. "Pour l’opinion publique algérienne, ni
Bouteflika, ni Cherif Belkacem, ni Medeghri ne faisaient figure de
socialistes. Boumediène, porté par le consensus populaire et voulant
suivre le processus de la mise en application de la révolution agraire,
a rogné les prérogatives du ministre de l’Intérieur Medeghri. 

Sur le
conflit du Sahara occidental, il semblerait que la solution de
Bouteflika ne procédait pas de la même démarche de Boumediène.
Quant à Cherif Belkacem, on ne sait pas si sa disgrâce lui est venue
de sa santé fragile ou bien de la soi-disant publication par sa femme
étrangère d’un livre intitulé "Les folles nuits d’Alger" dans lequel plusieurs personnalités auraient été mises en cause. Toutefois, ce qui est
certain est que cette affaire du livre dont tout le monde parlait mais
que personne ne pouvait exhiber relevait de l’intox à l’encontre d’un
homme qu’on voulait éloigner du pouvoir", note Abdelkader Yafsah. 

Pour sa part, Khalfa Mameri confirme la désapprobation par les
membres du clan d’Oujda de la révolution agraire et évoque la crise
de l’été 1974. Kaïd Ahmed, propriétaire terrien et de Haras, a été le
premier à être éliminé par Boumediène en 1972 en lui ôtant son poste
de ministre.
"Trois faits sont bien établis. Un grave incident entre Medeghri
ministre de l’Intérieur et Mahroug ministre des Finances. Celui-ci
cherche sur ordre de Boumediène à rapatrier les reliquats de crédit
que les ambassades viraient habituellement sur un compte bancaire
suisse. S’est-il senti personnellement visé ou non, 

Bouteflika aura
plus tard quelques démêlées avec la Cour des comptes. Medeghri qui
semble faire équipe avec Bouteflika pour éliminer Cherif Belkacem
s’en mêle. Il convoque manu militari Mahroug, et l’aurait menacé d’un
pistolet et d’un dossier intime compromettant "(4). Le deuxième fait
cité oppose Medeghri au ministre de la Culture, Taleb El Ibrahimi un
reportage télévisé sur une villa somptueuse qui appartiendrait à la
mère de Medeghri. A-t-on voulu salir ce dernier, le discréditer, le
déstabiliser au moment où le populisme battait son plein en Algérie ?
Une chose est sûre : le journaliste est tabassé et Taleb couvert de mots
peu aimables".
Le troisième fait concerne la réunion de deux membres du clan
d’Oujda à Annaba "ces deux membres séjournent à Annaba avec
Draïa, directeur général de la Sûreté nationale. Qu’avaient-ils à y faire
 ? Quel était le rôle du chef de la Sûreté nationale ? Etait-il informateur de Boumediène ou jouait-il pour son compte ? De ces questionnements sont parties des supputations sur une tentative de déstabilisation de Boumediène". Le "suicide" de Medeghri en 1974 signera la
fin du groupe d’Oujda. "Après l’exil extérieur de Kaïd Ahmed, intérieur de Chérif Belkacem et la mort de Medeghri, il ne restait plus
que Bouteflika et Boumediène".

Nadjia Bouaricha

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