De la mégalomanie à l’inconscience Pourquoi le pays arabe le plus occidentalisé a-t-il failli basculer dans l’archaïsme ? Quel a été le rôle des tenants du pouvoir algérien dans la montée du mouvement intégriste ? Il est certain que Ben Bella n’a eu le temps de faire ni du bien ni du mal. Renversé en moins de trois ans de pouvoir par son bras droit, son projet social a avorté.
L’austère Boumediene, auteur du coup d’État, stratège émérite, avait, dès 1958, tracé son plan. Promu chef de l’état-major de l’Armée de libéra-tion nationale (ALN) algérienne, il comprit très tôt, et bien avant de Gaulle, que l’indépendance de l’Algérie était inéluctable. Il élabora donc, avec ses disciples du PC du Ghardimaou, un plan d’acces-sion au pouvoir qui lui donna plusieurs longueurs d’avance sur ses rivaux.
Pendant que l’armée fran-çaise ratissait les maquis algériens, les réduisant à leur plus simple expression, Boumediene ne son-geait qu’à consolider 1’ « armée des frontières », placée sous ses ordres, plutôt que d’aider en maté-riel et en hommes des combattants réduits à l’état de troglodytes par le gigantesque déploiement de moyens militaires. Il alla même jusqu’à bloquer l’introduction en Algérie de certains explosifs chinois capables de démanteler la fameuse ligne Morice, un barrage électrifié destiné à isoler le pays de ses voisins. Face au loup, dont l’abondante moustache cachait mal les crocs, Ben Bella ne fut qu’une vic-time expiatoire. Le moment venu, il fut renversé sans coup férir. Boumediene s’installa au pouvoir avec la tran-quille assurance de celui qui constate que les faits se plient au cours qu’il leur avait tracé.
L’homme affectionnait les idées fortes et simples. Pétri de culture marxiste, il estimait que « les musulmans ne souhaitaient pas aller au para-dis le ventre creux ». Il rêvait de faire entrer l’Algérie dans le concert des nations développées.
Il considérait l’industrialisation comme la voie royale qui devait y mener. Élevant l’investisse- J ment productif au rang de panacée, il allait y consacrer 45 % du revenu national, et condamner les consommateurs à l’austérité. Il décida par conséquent de sacrifier tous les autres secteurs. Durant son règne, on ne construi-1 sit pas un seul mètre de voie ferrée. Le réseau exis-tant, hérité de l’époque coloniale, de plus malmené par les plastiquages de l’OAS en 1962, se révélait vétusté et étriqué, rendant totalement aléatoire la circulation des trains.
L’augmentation du nombre de véhicules multipliait les embouteillages sur les routes exiguës qui conduisaient aux grandes villes. La seule quantité d’essence gaspillée à cette occa-sion aurait financé la réalisation de nouvelles voies. En vertu de la même logique, négligeant les effets de la folle croissance démographique, on refusa de bâtir des logements, laissant s’étendre les bidonvilles aux abords des agglomérations.
Dans les hôpitaux, l’insuffisance des lits amenait les malades à s’étendre à même le sol. Il n’y eut qu’une seule exception. Émule de Lénine, qui considérait que « le socialisme, c’est les Soviets plus l’électricité », Boumediene accepta de consa-crer les sommes nécessaires à l’extension du réseau électrique. Et ainsi se dégradaient de jour en jour les condi-tions de vie des citoyens.
Boumediene ne tint jamais compte, ni sans doute ne prit conscience de cette situation. L’austère autodidacte préférait l’objectivité des chiffres au constat de la réalité. Ses ministres, qui l’avaient bien compris, l’abreu-vèrent de statistiques, et si Belaïd Abdesslam, responsable de l’industrie, devint le plus influent d’entre eux, c’est qu’il sut lui en fournir à foison...
Rachid Mimouni

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