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Mohand Tazerout |
Un brillant penseur algérien injustement ignoré :
Mon regard se porte par hasard sur un livre à la couverture jaunie, piquée de grains de poussière jaune-brun. Je le saisis d’une main fiévreuse et je lis sur la couverture « Mohand Tazerout, Manifeste contre le racisme (*), éditions Subervie » puis, à l’intérieur, dans une page, « Copyright 1963 ».
La parole consciente et l’écriture intelligente :
En effet, il écrit : ´´Le racisme est inséparable de la colonisation européenne du monde entier. Mais il se donne pour une doctrine scientifique et définitive de la race humaine dans sa pureté complète.´´ L’auteur, avec la passion nécessaire, mais aussi la lucidité de l’observateur, va, tout le long de son livre, décrire précisément cette ´´doctrine scientifique et définitive´´ en lui opposant les deux qualités intrinsèques de chaque homme vivant sur notre planète : ´´la conscience de la parole et l’intelligence de l’écriture, inséparables l’une de l’autre.´´ [...] Je voudrais signaler aussi que la rédaction de ce livre était achevée en 1960. Le titre primitif était ´´Contre le racisme´´.
En conclusion, l’importance de ce livre de M.Mohand Tazerout, ne doit pas échapper à notre attention. » J’ajouterai, entre autres, deux remarques de l’auteur lui-même, extraites de son Manifeste contre le racisme, la première : « Pour faire mieux comprendre la signification fondamentale que nous rattachons aux deux épithètes de l’homme RACIQUE et de l’homme RACISTE, il ne sera peut-être pas inutile de prendre exemple concret sur la lutte septénaire en cours entre la France et le F.L.N. pour l’indépendance politique de l’Algérie coloniale (p. 222). » ; la seconde, extraite de l’épilogue : « Je ne veux imposer à personne ce Manifeste comme une Vérité intégrale au-delà de laquelle il n’y en aurait pas d’autres ; mais j’ai le droit et le devoir sacrés de le soumettre à la discussion des lecteurs honnêtes comme une première hypothèse scientifique sur la race et les peuples humains par opposition radicale au racisme...(p. 229) »
Quant aux vivants, du moins les créateurs d’oeuvres culturelles, tous les artistes, à l’âme inaltérable, ils ont tôt appris à ne s’attendre à aucune reconnaissance, et d’autant qu’on les laisserait sciemment se consoler en pensant à la généreuse expression populaire qui est à consommer comme un baume miraculeux et qui est la suivante : « El hayy razqou hayy ! L’être vivant a sa fortune devant lui ! » C’est, parmi d’autres cas, quelque peu celui aussi de l’auteur du Manifeste contre le racisme.
Une pensée multiple et cohérente :
Sa biographie reste incomplète, bien que l’on puisse en trouver une esquisse satisfaisante dans les articles le concernant, notamment dans ceux du géographe de formation, chercheur en sociologie et en histoire Djilali Sari (« L’émergence de l’intelligentsia algérienne (1850-1950), éd. ANEP, Alger, 2006) et « Mohand Tazerout : 1893-1973 », Centre d’études Assâla / assala-dz.net.), du poète, auteur de Jumeau (récit) et Maître de conférences à l’Université de Djelfa, Hamid Nacer-Khodja (in Un éditeur en guerre d’Algérie : Jean Subervie.
L’oeuvre de Mohand Tazerout. « Les Éditions Subervie produisent, entre 1955 et 1963, une somme de cinq ouvrages polygraphes et deux essais à forte connotation politique. » Algérie Littérature / Action, n°41, mai-juin, 2000, pp. 230-245.), de l’universitaire, écrivain et journaliste Fodil Boumala dans une conférence, en hommage à Mohand Tazerout, prononcée le mardi 25 mai 2010 à l’Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou.
On trouvera également sa biographie parmi celles des auteurs recensés, d’une part dans Auteurs algériens de langue française de la période coloniale (Dictionnaire biographique), éd. L’Harmattan, Paris, 2010, p. 216, de Abdellali Merdaci, docteur en linguistique, professeur habilité de littérature francophone et comparée (Université de Constantine), auteur de plusieurs ouvrages et études de références, d’autre part, dans Dictionnaire encyclopédique de l’Algérie, éd. ANEP, Alger, 2007, p. 1090, de Achour Cheurfi, journaliste professionnel, poète (Coraline / Chahla ou Danse infidèle), nouvelliste (La Maison maudite / La Colombe du Président) et auteur de plusieurs dictionnaires biographiques.
En 1912, il est instituteur à Thenia. Peu enclin à se soumettre au système colonial, il s’exile « pour études » au Caire où il fréquente la célèbre université d’El Azhar. L’année 1913 lui ouvre les chemins difficiles mais enthousiasmants des voyages et des découvertes (langue, société, histoire, culture, civilisation,...) : il est en Iran, en Russie, en Chine, puis il retourne en Europe : Allemagne, Italie, Espagne, puis l’Afrique : Maroc, Mali, Algérie.
Il est, en pleine « Guerre 14-18 », mobilisé en 1917 en France. Blessé en Belgique, il est fait prisonnier en Allemagne. À la fin de la guerre, il reprend ses études à Strasbourg, puis à Poitiers. Il obtient une licence de langue allemande. Riche de sa vaste culture, il lit aisément dans le texte original les grands penseurs d’Occident, du Proche et de l’Extrême-Orient et du monde arabe.
Il en a traduit plusieurs oeuvres en langue française. Il a enseigné en province à la fois à Nantes et la Roche-sur-Yon. En 1953, il rentre en Algérie, séjourne à Laghouat, Ghardaïa, Biskra. Ensuite, il se rend à Tunis et à Tanger où il meurt, en 1973. Il laisse de nombreux ouvrages aux titres révélateurs de la profondeur de sa pensée multiple et cohérente : littéraire, philosophique, religieuse (prédominance de l’Ijtihâd), politique, scientifique,... totalement humaine (concrétisée surtout dans son essai Histoire politique de l’Afrique du Nord, paru chez Subervie, pour des raisons compréhensibles, seulement en 1961) et qui lui a alors valu la consécration de lauréat de l’Institut de France.
Quelques titres de ses ouvrages :
- Quelques conditions méconnues d’un rapprochement franco-allemand, 1931.
- Le déclin de l’Occident : Esquisse d’une morphologie de l’histoire universelle d’Oswald Spengler et Mohand Tazerout, 1931.
- Sociologie relationnelle par Léopold Von Wiese,... Auteur : Léopold Max Walther Von Wiese und Kaiserswaldau, traduit par Mohand Tazerout, 1932.
- Karl Brokelmann et l’Institut de sociologie appliquée », 1936.
- Critique de l’éducation allemande, de Kant à Hitler, 1946. - Les Éducateurs sociaux de l’Allemagne moderne : L’Éducation vitaliste, 1948.
- La foi religieuse du Proche-Orient, 1956.
- Le Capitalisme mondial du XIVe siècle à nos jours, 1958.
- Au congrès des civilisés, 5 tomes :
La philosophie amoureuse de l’Antiquité.
Le capitalisme occidental depuis le XIVe siècle.
Le communisme soviétique et la sociologie de la coexistence pacifique, 1956,
éd. Subervie, 1959.
- Histoire politique de l’Afrique du nord, 1961. - Manifeste contre le racisme, éd. Subervie, 1963,...
Sans doute est-ce une évidence, mais il est bon de ne jamais oublier, cette évidence. De même, au besoin, comme dit l’esprit populaire algérien : Mâ yahoukklak illâ dhafrak wa mâ yabkî alayk illâ chafrak, tu ne peux te gratter qu’avec ton doigt et il n’y a que ton oeil qui puisse verser des larmes pour toi !
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