Les frères Barberousse

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Quatre écumeurs des mers, dont deux sabreurs de première qualité, portent le nom de Barberousse : ’Aroudj, Khair ed-Din (le Barberousse), Ilyas et Ishaq, tous fils d’un modeste potier de Medelin (ou Mételin), dans l’île grecque de Lesbos, du nom de Yacoub d’Yenidjewardar. 

Depuis cinq siècles, deux d’entre eux, ’Aroudj et Khair ed-Din, adoubés par les sultans de la Porte, reçoivent les honneurs militaires des marins les plus chevronnés qui en ont fait des chefs. On se les représente comme des Jack Sparrow – du film Pirates des Caraïbes –, démons sans foi ni loi, sanguinaires, puissants et authentiques briscards des mers, flibustiers intrépides et invincibles. ’Aroudj et Khair ed-Din furent appelés Barberousse – nom qui a d’abord été donné à l’un d’eux – lors de leur séjour à Tunis, en 1504. Dès 1515, ils firent des incursions en Algérie à partir de Jijel, une base de l’Est algérien. Henri Delmas de Grammont indique, dans une étude de La Revue africaine, que « les pièces officielles n’emploient que le vocable Barbara, soit qu’elles nomment ’Aroudj, soit qu’elles parlent de son frère Khair ed-Din. En Italie, on dit Barbarossa ; en France, le roi et ses ambassadeurs écrivent Barberousse. Mais tous, Espagnols, Italiens et Français, lorsqu’ils se servent de la langue latine, disent : Oenobarbus Turchus (Le Turc à la barbe rouge) » (La Revue africaine, 1885). 

D’autres noms, parfois attribués à tort, circulent : Aruch, Horruc, Orox, Homich… À moins que toute cette généalogie africaine ne remonte tout simplement à Frédéric I er de Hohenstaufen, dit également Frédéric Barberousse (1122-1190), qui régna en Allemagne et en Italie, où il reçut le surnom de Barberousse, en raison de son impressionnante pilosité. Dans l’entrée « Algérie » de la Nouvelle Encyclopédie américaine, Engels écrivait : Barberousse Horuk. En réalité, il n’y aucune indication précise quant à la couleur de la barbe d’ ’Aroudj et de ses frères, et rien ne dit que sa barbe eût été vraiment rousse ou rouge. 

Selon Waslin Esterhazy, auteur de De la domination turque dans l’ancienne Régence d’Alger, le nom Barberousse vient de ce que les Européens n’arrivaient pas à prononcer correctement ’Aroudj. Ils ont finalement opté pour Barberousse, qui prévalut tant pour la facilité de la langue, qui ne pouvait plus fourcher, que pour l’image qu’il donnait d’un corsaire roux ou rouge, redouté de tous. La ville où se forgea cette réputation si sulfureuse est Alger, mais le terrain de jeu du corsaire fut infiniment plus vaste, s’étendant de la Méditerranée aux mers du Nord. 

Alger était, au milieu du XVIe siècle, « une ville de pirates insolents », ainsi que le rappelle si suavement Venture de Paradis, qui avaient réussi à en faire une escale redoutée par la plupart des flottes étrangères, mais aussi une capitale méditerranéenne. Après avoir ferraillé avec toutes les nations maritimes, conquis Ténès et Tlemcen, Baba ’Aroudj mourut au combat, en 1518, dans une bataille contre les Espagnols, à la frontière marocaine, à quelques encablures de Tlemcen. Khair ed-Din rallia l’armée en déroute de son frère Baba ’Aroudj, dont il prit naturellement le commandement, avant de s’emparer du Peñón d’Alger (1529). Selon les historiens, il aurait usé d’un stratagème assez efficace, celui d’Hippomène qui, dans sa lutte contre Atalante, avait eu le trait de génie de semer derrière lui des trésors afin d’assouvir la cupidité de ses poursuivants, de les disperser et de les ralentir suffisamment pour pouvoir leur échapper. L’année de la mort de son frère, 1518, Khair ed-Din fut élu par les acclamations du peuple d’Alger. 

Cela combla d’aise le sultan ottoman Sélim I er , lui-même confirmé dans son rôle de parrain de la Régence. D’ailleurs, les sultans ottomans auront un droit de regard direct sur les beys d’Alger jusqu’en 1711. Le 27 mai 1529, Khair ed-Din chassa du Peñón d’Alger le gouverneur Martin de Vargas, après avoir échoué dans sa tentative de le convertir à l’islam. Comme Vargas s’obstinait dans son refus, il fut bastonné, tant et si bien qu’il rendit l’âme. Peu de temps après, Khair ed-Din fut rappelé à Constantinople où il fut nommé capitan. De l’autre côté du détroit de Gibraltar, les Espagnols étaient furieux. En septembre 1516, ils armèrent une flotte importante placée sous l’autorité de Diego de la Vera, avec pour mission de punir l’offense qu’ils avaient subie de la part des Algériens. 

Diego de la Vera fut écrasé et plus de mille cinq cents de ses soldats périrent lors de l’assaut, à un endroit qui aurait donné son nom au quartier de Bab el-Oued. Le XIXe siècle ne fut pas de tout repos pour les habitants d’Alger, car les attaques des marines européennes, essentiellement anglaise, danoise, espagnole et française, se multiplièrent. Les Anglais ouvrirent les hostilités et furent les plus destructeurs. 

En 1816, notamment, l’attaque conduite par lord Exmouth (1757-1833) pour libérer des esclaves chrétiens encore retenus dans les geôles algériennes fut durement ressentie par le pacha d’Alger et sa suite. Deux années plus tard, une armada européenne, chrétienne plus exactement, cingla vers Alger. Acculé, le dey fut contraint d’abandonner définitivement la course en Méditerranée. Il faut noter, à cet égard, la rivalité constante des Anglais et des Français en ce qui concerne la maîtrise totale des mers, l’Angleterre s’étant déjà adjugée de beaux trophées dans la lointaine Asie et sur la plupart des mers chaudes du globe. Autre fait majeur : si la marine espagnole a toujours eu des velléités de domination de la côte barbaresque, qui va de Tanger à Bizerte, et connu des démêlés avec les marines de ses trois pays, la flotte portugaise ne s’est jamais aventurée dans ces parages, se contentant de tenir les ports atlantiques et ceux de l’océan Indien : Mozambique, Mombasa, ainsi que quelques comptoirs de la façade orientale de l’océan Indien.

Malek Chebel

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