La physique nucléaire

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Prise de vue

On connaît actuellement des centaines de noyaux atomiques. Chacun est représenté par son nombre atomique Z, c’est-à-dire le nombre de protons qu’il contient, et par son nombre de masse A, qui correspond au nombre total de ses nucléons (protons ou neutrons)

. Des éléments contenant le même nombre de protons mais possédant des nombres de masse différents sont dits isotopes. Ainsi, les noyaux d’hydrogène (Z = 1, A = 1), de deutérium (appelé aussi deuton, Z = 1, A = 2) et de tritium (ou triton, Z = 1, A = 3) sont-ils trois isotopes du même élément, et l’uranium se présente principalement sous deux isotopes de nombres de masse 235 et 238. Les isotopes ont des propriétés chimiques très voisines, car celles-ci dépendent d’une distribution électronique quasi identique, mais leurs propriétés physiques sont extrêmement différentes et leurs applications, très nombreuses, couvrent divers domaines.

I - Les propriétés du noyau atomique

On représente souvent les noyaux dans un diagramme (N, Z) où l’on porte sur les axes de coordonnées le nombre N de neutrons et le nombre Z de protons ; les quelque 300 noyaux stables s’y rassemblent dans une « vallée de stabilité » entourée d’une large bande qui contient les noyaux instables.

Le physicien britannique James Chadwick (le plus à gauche), Prix Nobel de physique en1935, en discussion, en 1945, avec des collègues britanniques et américains à propos du développement de la bombe atomique. Selon la relation d’Einstein, l’énergie de liaison (EL) d’un noyau est la différence entre sa masse M et la somme des masses des protons (MP) et des neutrons (MN) constituants ; pour un noyau contenant Z protons et N neutrons, elle est égale à : EL = (Z MP + N MN

— M) c^2 , où c est la vitesse de la lumière.

L’énergie de liaison équivaut typiquement à 1 p. 100 de la masse totale, ce qui est considérable. Ainsi l’énergie de liaison nucléaire des noyaux contenus dans quelques grammes d’hélium se mesure en milliards de joules, soit des millions de fois plus que l’énergie libérée par une réaction chimique.

Les volumes des noyaux sont approximativement proportionnels à leur nombre de masse (A), leur rayon étant approximativement donné par la formule : R = 1,2A1/3 × 10 –15 m.

Encore faut-il garder à l’esprit que le caractère quantique de la physique des noyaux ne permet de parler que de rayon moyen défini à partir d’une fonction d’onde exprimant une probabilité de présence ; la densité nucléaire décroît brutalement sur une épaisseur de quelques dixièmes de femtomètre (10—15 m).

NUCLÉAIRE (PHYSIQUE) - Les principes physiques

James Chadwick Les noyaux possèdent un moment angulaire intrinsèque quantifié selon les règles de la mécanique quantique en multiples de la quantité élémentaire h/4π, où h est la constante de Planck. Lorsqu’il n’est pas nul – et c’est le cas le plus fréquent –, ce moment angulaire implique l’existence d’un moment magnétique nucléaire, d’intensité très inférieure à celui des électrons mais d’intérêt fondamental pour les phénomènes de résonance aux applications diverses.

II - Les descriptions théoriques du noyau atomique

La compréhension théorique du noyau s’est révélée très difficile. Divers modèles représentent bien certaines de ses propriétés, mais la théorie bute sur une difficulté (souvent appelée problème à N corps) commune à la physique des systèmes formés de nombreux constituants. Développé dès la fin des années 1930, le modèle de la goutte liquide assimilait le noyau atomique à une goutte sphérique d’un liquide incompressible de masse volumique extraordinairement élevée (de l’ordre de 10^17 kg/m^3 ) et dans laquelle la charge électrique serait uniformément diluée. Les neutrons et les protons interagiraient entre eux par une unique force de très courte portée. Ce modèle, essentiellement classique et macroscopique, a donné des résultats précieux sur la stabilité des noyaux vis-à-vis de la radioactivité β et de la fission spontanée.

Le modèle en couches

Le modèle en couches du noyau atomique développé entre 1948 et 1950, en particulier par Johannes Hans Daniel Jensen et Maria Goeppert Mayer (tous deux Prix Nobel de physique 1963), a permis d’expliquer un grand nombre de propriétés structurales du noyau. La remarquable stabilité des noyaux contenant un « nombre magique » (c’est-à-dire 2, 8, 20, 50, 82 ou 106) de protons ou de neutrons suggère que, de manière analogue aux orbites électroniques décrites par Niels Bohr, les nucléons (protons ou neutrons) se meuvent sur des orbites appartenant à des couches bien séparées, les nombres magiques correspondant à des couches complètes. Ce modèle, essentiellement quantique, assigne aux nucléons l’occupation d’états définis par quelques nombres entiers (appelés nombres quantiques), un seul nucléon pouvant occuper un état déterminé. Il suppose de plus une forte interaction entre le moment angulaire intrinsèque – ou spin – des nucléons et leur moment angulaire orbital. De nombreuses conséquences de cette hypothèse sur la structure des niveaux d’énergie des noyaux furent vérifiées par les mesures expérimentales.

Le physicien danois Niels Bohr et le physiologiste russe Ivan Petrovitch Pavlov en 1934. Le modèle en couches, convenablement amendé par le modèle de la goutte liquide, prévoit l’existence de noyaux superlourds relativement stables. Depuis les années 1980, les efforts d’équipes rassemblées au laboratoire G.S.I. (Gesellschaft für Schwerionenforschung) de Darmstadt (Allemagne) ont permis de synthétiser les noyaux ayant un nombre atomique Z compris entre 106 et 112. L’élément 112, par exemple, a été obtenu pour la première fois en 1996, sous la forme d’un noyau radioactif fait de 112 protons

Niels Bohr et Ivan P. Pavlov et de 165 neutrons, de demi-vie égale à une fraction de milliseconde. Pour le former, les chercheurs ont précipité sur une cible de plomb des ions de zinc accélérés à une énergie cinétique de 343,8 MeV. Un dispositif électromagnétique de séparation des produits de réaction permet d’extraire le nouveau noyau et d’analyser sa voie principale de désintégration, ce qui signe son identité. Dans le cas de l’élément 112, on a observé des désintégrations α successives amenant au fermium (Z = 100), en passant par de nouveaux isotopes de l’élément 110 (A = 273) et du hassium (Z = 108 et A = 269). Les recherches se poursuivent afin d’atteindre Z = 114, nombre autour duquel les modèles théoriques prévoient un îlot de stabilité.

Le modèle collectif

Le modèle en couches ne rendait pas compte de la déformation de la distribution de charge, souvent observée. James Rainwater, Aage Bohr et Ben Mottelson (Prix Nobel de physique 1975) proposèrent indépendamment en 1950 de considérer l’influence des nucléons externes sur le comportement collectif des nucléons du cœur du noyau. La déformation moyenne qui en résulte amène à ajouter des niveaux supplémentaires aux niveaux d’énergie prévus par le modèle en couche ; ainsi un noyau subissant une rotation globale peut se désexciter – c’est-à-dire ralentir sa rotation – en émettant des photons. La mise en évidence des modes d’oscillation de surface, de compression et de polarisation des états excités nucléaires prouve la validité de cette approche qui unifie en quelque sorte le modèle de la goutte et le modèle en couches.

III - Les réactions nucléaires

La radioactivité La radioactivité des noyaux atomiques découverte par Henri Becquerel en 1896 fit rapidement l’objet d’intenses recherches. En 1903, Rutherford énonça la loi mathématique de décroissance radioactive qui donne le nombre de noyaux présents à l’instant t : N = N 0 exp(—

t/τ), où N 0 est le nombre initial de noyaux et τ la vie moyenne (reliée à la période T après laquelle la moitié des noyaux se sont

désintégrés par T = 0,693 τ). Cette période dépend énormément du type de noyau considéré mais est caractéristique de celui-ci. Cette loi de décroissance est une illustration du caractère aléatoire du mécanisme sous-jacent et de sa nécessaire description dans le cadre quantique.

La théorie de la désintégration α, dans laquelle un noyau d’hélium est éjecté, fut proposée en 1927 par George Gamow, Ronald Gurney et Edward U. Condon. La réaction : (A, Z) → (A — 4, Z — 2) + α est spontanée pour certains éléments naturels de nombre atomique supérieur à 82 et a été observée pour des isotopes artificiels de Z plus petits.

La compréhension de la radioactivité β dut attendre, d’une part, l’audacieuse hypothèse de l’existence du neutrino formulée en 1930 par Wolfgang Pauli et, d’autre part, le modèle proposé en 1934 par Enrico Fermi. Les deux modes β— et β+ de ce phénomène relèvent de l’interaction nucléaire faible et changent un noyau en un isobare selon les réactions : (A, Z) → (A, Z + 1) + électron + antineutrino ; (A, Z) → (A, Z — 1) + positon + neutrino.

La radioactivité γ correspond, quant à elle, à une désexcitation électromagnétique d’un état excité du noyau vers un état plus stable . D’autres radioactivités, plus rares (émission de protons ou de noyaux légers jusqu’au carbone), ont aussi été mises en évidence.

La fission Si les noyaux très lourds (Z > 90) subissent spontanément une fission, celle-ci peut être initiée pour un nombre beaucoup plus grand de noyaux par l’impact d’un projectile, souvent d’un neutron. Pour certains (les isotopes 233 et 235 de l’uranium, le plutonium 239 par exemple), il suffit que ce neutron soit absorbé ; pour d’autres (l’isotope 238 de l’uranium, le thorium 232), il faut qu’il apporte une énergie cinétique minimale. Le processus donne en général naissance à deux noyaux de masses moyennes et à un certain nombre de neutrons rapides (c’est-à-dire d’énergie cinétique égale à quelques mégaélectronvolts) susceptibles de déclencher sur les noyaux voisins une

réaction en chaîne. On connaît l’importance de ce phénomène pour la production d’énergie, car chaque fission libère de 100 à 200 MeV. Ce phénomène est le principe des bombes A et des centrales nucléaires qui produisent de l’électricité.

La fusion Les réactions de fusion – parfois appelées réactions thermonucléaires – des noyaux légers présentent un intérêt fondamental. Lors de ces réactions, deux noyaux légers s’unissent en formant un élément plus lourd, avec éventuellement éjection d’un neutron (n) ou d’un proton (p). Les exemples les plus importants sont la fusion de deux noyaux de deutérium (d) en hélium 3 (^3 He) ou en tritium (t), selon les processus très exo-énergétiques : d + d ?^3 He + n ou t + p, et la fusion deutérium-tritium en hélium 4 (^4 He) : d + t ?^4 He + n.

Sources de la puissance lumineuse des étoiles, en particulier du Soleil, ces réactions sont le principe des bombes thermonucléaires (ou bombes H). Un important programme de recherche a pour objectif de maîtriser ces réactions afin d’en faire la source énergétique de l’avenir (cf. ÉNERGIE THERMONUCLÉAIRE). La difficulté de leur domestication tient au fait qu’il faut, pour les initier, réussir à rapprocher les noyaux jusqu’à des distances de quelques femtomètres (10—15 m). Cela impose de vaincre la répulsion électrostatique qui s’exerce entre des charges positives, ce qui implique le maintien d’une température de quelques milliards de degrés.

IV - Physique hadronique

L’étude des noyaux les plus simples – et parmi eux le proton – se confond de fait avec l’étude des systèmes de quarks et de gluons confinés par l’interaction forte. Ces systèmes liés sont appelés hadrons et se partagent entre mésons (de spin multiple pair de h/4π) et baryons (de spin multiple impair de h/4π), d’où le nom de physique hadronique pour ce domaine extrêmement actif de la recherche. L’outil privilégié d’investigation expérimentale est ici la sonde électromagnétique, c’est-à-dire la diffusion d’électrons ou de muons sur les noyaux légers. De telles réactions avaient révélé dès 1968 la nature composite des protons. Les programmes actuels affinent cette description et tentent d’élucider les mécanismes du « confinement de la couleur » proposé par la chromodynamique quantique, théorie des interactions fortes qui attache aux quarks et aux gluons une charge dite de couleur. Ces expériences privilégient les réactions où de grands transferts d’énergie donnent accès à la structure à courte distance des hadrons. Si les données recueillies jusqu’ici permettent d’avoir une description assez précise de la façon dont l’énergie d’un proton se construit à partir de celle de ses constituants, on est encore incapable de déterminer la fonction d’onde des quarks et des gluons dans un hadron. Les physiciens proposent que des programmes expérimentaux ambitieux de faisceaux d’électrons intenses, continus et d’énergie suffisante (quelques dizaines de milliards d’électronvolts), complètent les résultats acquis.

Applications

En se limitant au domaine civil, la physique nucléaire a donné lieu à des applications extrêmement variées.

Applications énergétiques

Les applications énergétiques de la physique nucléaire sont bien connues et une part importante de l’électricité est maintenant produite à partir des réactions de fission des noyaux lourds (principalement l’uranium). Les travaux actuels dans ce domaine se concentrent sur la recherche de cycles moins polluants, tel le cycle du thorium, et s’attachent à trouver des solutions au grave problème des déchets radioactifs à vie longue en explorant en particulier les possibilités d’incinération des noyaux transuraniens dans un système hybride couplant un accélérateur de protons à un réacteur sous-critique.

La maîtrise des processus de fusion est un des programmes prioritaires de la recherche nucléaire appliquée. Deux voies sont explorées : la voie électromagnétique cherche à confiner un plasma de deutérium (et de tritium) dans un système de champs magnétiques intenses ; la voie inertielle essaie de tirer profit de la capacité d’effondrement d’une microsphérule de deutérium et de tritium soumise à des éclairs de lasers intenses. Malgré de réels progrès dans la compréhension de cette physique, les difficultés sont considérables et la réalisation de centrales n’est pas envisageable dans un avenir proche.

Bernard PIRE

Applications médicale Les radioéléments fabriqués par les laboratoires de physique et de chimie nucléaires trouvent de nombreuses applications dans les domaines du diagnostic et de la thérapeutique. La caméra à scintillations est un outil remarquable de diagnostic, puisqu’elle permet de suivre l’évolution de la radioactivité induite dans un organe ayant capturé un radioélément. La tomographie par émission de positons ( due à la désintégration β+ de noyaux captés par les organes) a elle aussi un potentiel d’applications cliniques considérable.

Les effets de destruction cellulaire par les noyaux instables (tels que l’iode 131) ont été utilisés dès 1936 pour traiter les leucémies puis les hyperthyroïdies. La protonthérapie s’est récemment considérablement développée tandis que l’utilisation de faisceaux de noyaux lourds reste encore au stade expérimental.

Citons enfin la technique de résonance magnétique nucléaire (R.M.N.) utilisant la réponse des spins des noyaux d’hydrogène contenus dans l’eau et les lipides lorsqu’ils sont soumis à un champ magnétique ; elle est particulièrement intéressante, puisque les champs magnétiques appliqués se sont révélés être sans effet nocif.

Outil de datation

L’utilisation de la radioactivité comme moyen de datation fut suggérée dès 1912 par Rutherford. La datation au carbone 14, par exemple , repose sur un principe simple : cet isotope est présent dans la biosphère grâce au bombardement des particules cosmiques sur les noyaux d’azote, et le taux de formation compense sa disparition radioactive. Tant qu’un organisme est vivant, il fixe cet isotope aussi bien que l’isotope 12 du carbone et la concentration relative de ces deux noyaux reste quasi constante. Lorsque l’organisme meurt, les échanges avec l’extérieur s’arrêtent et le nombre moyen de noyaux de carbone 14 suit la loi de décroissance caractéristique, avec une demi-vie (période au terme de laquelle la concentration est divisée par deux) de 5 730 ans. On utilise maintenant bien d’autres isotopes que le carbone 14.

Application astrophysique

L’évolution des étoiles peut être comprise à la lumière de la physique nucléaire. Les étoiles jeunes, le Soleil par exemple, sont essentiellement constituées d’hydrogène et leur cœur est le siège de réactions de fusion associant deux protons en un noyau de deutérium (avec dégagement d’un positon et d’un neutrino). Cette réaction très lente, qui assure au Soleil une vie de 10 milliards d’années, est immédiatement suivie de la fusion d’un proton et d’un noyau de deutérium en un noyau d’hélium 3 (avec émission d’un photon), puis de la fusion de deux noyaux d’hélium 3 en un noyau d’hélium 4 (avec dégagement de deux protons et d’énergie). Devenue alors géante rouge, l’étoile peut transformer l’hélium en carbone ; selon sa masse, elle peut éventuellement être le siège d’autres réactions nucléaires amenant en particulier à la formation d’éléments plus lourds, jusqu’au fer. Si les grandes lignes de cette nucléosynthèse sont maintenant bien comprises, un certain nombre d’énigmes demeurent et font l’objet de recherches intensives. La compréhension théorique des noyaux instables reste insuffisante et l’étude des processus de fusion de noyaux à courte durée de vie n’a été rendue possible que très récemment, avec la disponibilité de faisceaux radioactifs dans quelques accélérateurs tels que le G.A.N.I.L

. de Caen.

Bibliographie F. BALESTIC, Rayonnements et traitements ionisants, Masson, Paris, 1995 D. BLANC, Physique nucléaire, ibid., 1995 B. FERNANDEZ, De l’atome au noyau, Ellipses, Paris 2006 R. HAKIM, La Science de l’Univers, Syros, Paris, 1992 R. MACKINTOSH, J. AL-KHALILI, B. JONSON & T. PENA, Nucleus, un voyage au cœur de la matière, E.D.P. Sciences, Les Ulis, 2006 NEPAL, Voyage au cœur de la matière, Belin, Paris 2002 H. NIFFENECKER, J.-P. BLAIZOT, G. BERTSCH, W. WEISE & F. DAVID, Trends in Nuclear Physics, 100 Years Later, Elsevier, Amsterdam, 1998 J.-P. PHARABOD & B. PIRE, Le Rêve des physiciens, coll. Opus, Odile Jacob, 1997 P. RADVANYI, Les Rayonnements nucléaires, coll. Que sais-je ?, P.U.F., Paris, 1995 L. VALENTIN, Le Monde subatomique, Hermann, Paris, 1987 ; Noyaux et particules, ibid., 1989.

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