Uruguay 1930 : 1ere coupe du monde de l'histoire

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Le 21 juin, à Villefranche-sur-Mer, le Conte-Verde largue les amarres ; à son bord, des Roumains (montés à Gênes), des Belges et des Français, représentant trois des quatre équipes européennes qui ont accepté de vivre l’aventure de la Ire Coupe du monde de football, avec les Yougoslaves, partis deux jours auparavant de Marseille sur le Florida. C’est pourtant avec les plus grandes difficultés que Jules Rimet – président de la Fédération internationale de football association –, après avoir avec Henri Delaunay tant œuvré pour cette création, est parvenu à persuader, le 19 mai, le bureau de sa propre fédération nationale de ne pas rejeter l’invitation uruguayenne – frais de voyage payés. Réussissant à convaincre, dans le peu de temps qui restait, les armées et les douanes de délivrer les autorisations parfois indispensables, il exhorte seize joueurs à prendre les six semaines de congé nécessaires, ce qui peut signifier parfois la perte de leur emploi : ainsi s’embarquent Andoire, Capelle, Chantrel, Delfour, Delmer, Langiller, Jean Laurent, Lucien Laurent, Liberati, Maschinot, Mattler, Pinel, Tassin, Thépot, Veinante et Villaplane, accompagnés de Jules Rimet et de sa fille, de Caudron, le sélectionneur, du soigneur-masseur Panosetti et de Balway, un arbitre. Le 5 juillet, accostant à Montevideo, après avoir pris les Brésiliens à l’escale de Rio de Janeiro, les Européens sont accueillis avec chaleur et acclamés.

Neuf nations du Nouveau Monde se sont également engagées, et quatre groupes se trouvent constitués, dont un seul compte quatre pays, le groupe 1, dans lequel est placée la France. Le 13, au stade de Pocitos, fief de Penarol, car le “grand stade” édifié en seize mois n’est pas encore prêt, on donne le coup d’envoi du premier match de la Coupe du monde : dès la dixième minute, le gardien de but français Alex Thépot, mis hors de combat en se heurtant à l’avant-centre mexicain Meija, doit être remplacé “dans les bois” par Chantrel, le demi gauche ; les Français jouent donc à dix, mais Lucien Laurent devient le premier buteur de l’histoire de la Coupe du monde, suivi par Maschinot, à deux reprises, et par Marcel Langiller ; la France bat le Mexique 4 buts à 1. Le 15, au Parque central, le terrain du Nacioñal, les Tricolores, soutenus par le public, sont tout près de créer une vraie surprise contre l’Argentine, malgré l’entorse de leur inter droit, Lucien Laurent : ce n’est qu’à neuf minutes de la fin que, sur coup franc, Luigi Monti trompe Thépot, jusqu’alors magnifique ; les Français contre-attaquent et semblent en mesure d’aboutir quand l’arbitre siffle brusquement la fin ; or il restait quatre minutes à jouer ; il reconnaîtra, mais trop tard, son erreur, et le score ne changera plus. Le 19, au stade du Centenario cette fois, c’est également par 1 but à 0 que les Bleus s’inclineront face au Chili ; troisièmes du groupe 1, les Français sont éliminés, avec tous les honneurs. L’Argentine, qui a battu le Mexique (6-3) et le Chili (3-1), se qualifie devant ce même Chili, vainqueur du Mexique (3-0).

Du groupe 2 émerge la Yougoslavie – avec Stefanovic et Yvan Beck, du Football-Club de Sète, et Sekulovic, de Montpellier – supérieure au Brésil (2-1) et à la Bolivie (4-0). L’Uruguay – qui a inauguré le 14 juillet le stade du Centenario (cent mille places), avec ses deux grandes tribunes dénommées “Colombes” et “Amsterdam” en souvenir des deux triomphes olympiques qui ont justifié l’attribution de la compétition mondiale au pays qui fête les cent ans de son indépendance – domine le groupe 3 face au Pérou vaincu difficilement (1-0) après avoir déjà été battu par la Roumanie 3 buts à 1, équipe que la Celeste domine à son tour par 4 buts à 0. Dans le groupe 4, enfin, les États-Unis, singulièrement renforcés par les Écossais Alec Wood, Gallacher, Brown et Mac Ghee, qui battent, chaque fois par 3 buts à 0, la Belgique – privée de son avant-centre, le “professionnel” Raymond Braine parti au Sparta de Prague – et le Paraguay (lui-même vainqueur 1-0 de la Belgique), se qualifient.

Le verdict des demi-finales est catégorique : 6 buts à 1 pour l’Argentine face aux États-Unis ; même score pour l’Uruguay (avec 3 buts de Pedro Cea) contre une Yougoslavie dépassée. Tout est prêt pour une finale qui pourrait être une revanche de la finale olympique de 1928. À Buenos Aires, sur l’autre rive du río de la Plata, on s’enflamme ; à l’embarcadère, des milliers d’Argentins en regardent partir trente mille autres, dont beaucoup resteront bloqués dans le brouillard qui tombe et n’arriveront qu’après le match ! Désigné officiellement trois heures à peine avant la rencontre et sévèrement protégé, l’arbitre belge John Langenus donne le coup d’envoi, avec un ballon tiré au sort qui se trouve être de fabrication argentine.

Après douze minutes de jeu, l’ailier droit uruguayen Pablo Dorado marque ; en nette minorité – de l’ordre de dix mille contre quatre-vingt-cinq mille –, les supporters argentins reprennent cependant vite espoir, puisqu’à la vingtième minute l’ailier droit Carlos Peucelle égalise et que, mieux encore, l’insaisissable avant-centre Guillermo Stabile – premier “roi des buteurs” avec huit réussites – donne l’avantage aux visiteurs ; le stade est devenu muet. Parvenant à conserver leur sang-froid, les Uruguayens vont bénéficier de la lucidité d’Hector Scarone : à la cinquante-septième minute, celui-ci adresse une passe idéale à l’inter gauche Cea, qui rétablit l’équilibre ; à la soixante-huitième minute, il profite d’une remontée de terrain de Mascheroni, la prolonge à la perfection vers Iriarte, l’ailier gauche, qui inscrit un nouveau but pour les Bleu ciel ; Castro clôt le score à la quatre-vingt-neuvième minute. L’Uruguay s’impose donc par 4 buts à 2 contre l’Argentine. Au pied de la tour des Hommages, Jules Rimet confie la Victoire ailée (statuette de 1 800 grammes d’or), œuvre d’Abel Lafleur, au capitaine Jose Nazzazi devant ses camarades Ballesteros, Mascheroni, Andrade, Fernandes, Gestido, Dorado, Scarone, Castro, Cea, Iriarte. L’Uruguay et la Coupe du monde, qui a rapporté 225 000 dollars, triomphent. Le gouvernement argentin ne résistera pas longtemps à la déception de son peuple.

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