Dessin présumé du fondateur des Almohades ( Ibn Toumert )
Dynastie musulmane d’origine berbère qui domina l’Afrique du Nord et l’Espagne aux XII et XIIIe siècles, les Almohades almuwaḥḥidūn (étymologie arabe : ) sont issus d’un mouvement religieux appuyé par un groupe de tribus berbères du Haut Atlas marocain .
Le fondateur, né vers 1080, en fut Muḥammad ibn ‘Abdallāh Ibn Tūmart, de la tribu Harġa du groupe des Masmuda. Étudiant en Orient, il subit l’influence des idées théologiques aš ‘arites, du grand docteur G̣azālī et aussi du shī‘isme. De retour au Maghreb vers 1110-1120, il attaqua les mœurs jugées contraires à la loi musulmane et aussi les fuqahā’ (« clergé » des spécialistes en sciences religieuses) mālikites, qui formaient l’armature idéologique du régime almoravide. Il leur reprochait l’abandon de l’étude du Coran et de la tradition, leur juridisme sec et borné, leur conception anthropomorphiste de Dieu et de ses attributs qu’il assimilait au polythéisme.
Il devenait licite de les combattre comme des impies. Rabroué par la foule et pourchassé par le souverain almoravide, il se réfugia dans le Haut Atlas, à Tīnmallal (ou Tīnmāl) vers 1125. Suivant l’exemple du Prophète, il se fit chef d’une communauté qu’il organisa pour l’action politique et militaire au service de ses idées. Il se déclare mahdī et rallie les Harga et une grande partie des Masmūda, tirant parti de l’hostilité de ces paysans montagnards envers les nomades sahariens du groupe Sanhāǧa, soutien des Almoravides. La communauté est soumise à une discipline implacable avec des épurations sanglantes. Elle est dirigée par le mahdī assisté de deux conseils (conseil des Dix et conseil des Cinquante) et administrée par des fonctionnaires.
Les membres payent des impôts et doivent le service militaire. Vers 1122, le mahdī passe à l’attaque et menace Marrakech, capitale des Almoravides. À sa mort en 1130, son disciple ‘Abd al-Mu’min ibn ‘Alī, Berbère arabisé de l’Oranie, lui succède et continue son action. Fès tombe en 1146 et Marrakech en 1147. Après le Maroc, ‘Abd al-Mu’min conquiert tout le Maghreb central et oriental de 1151 à 1160. Appelé dès 1145 en Espagne, il installe son pouvoir en Andalousie occidentale. Son fils Abu Ya‘qūb Yūsuf (1163-1184) vaincra le condottiere Ibn Mardanīš qui tenait le reste de l’Espagne musulmane. Abū Yūsuf Ya‘qūb, dit al-Mansūr (le Victorieux ; 1184-1199), fils de Yūsuf, réussit à maintenir cet Empire qui embrassait l’ensemble de l’Afrique du Nord et de l’Espagne musulmane. Mais les tendances à la dislocation étaient puissantes. ‘Abd al-Mu’min, rompant avec les règles collégiales instituées par le mahdī, avait assuré la succession à sa descendance et pris le titre califien d’amīr al-mu’minīn (prince des Croyants), rejetant la suzeraineté ‘abbāside.
Les tensions allaient s’aggraver entre les cheikh, descendants des membres des premiers conseils almohades (ayant à leur tête Abū Ḥafṣ ‘Umar, compagnon du mahdī, et ses descendants) et les sayyid, de la famille du souverain, sans préjudice des luttes entre ceux-ci. Les Arabes du Maghreb oriental, transportés au Maroc et en Espagne pour servir de soldats, se rendent dangereux par leur turbulence et se joignent aux différents clans en lutte. Les Banū Gāniya, pirates almoravides des Baléares, débarquant au Maghreb oriental en 1184, s’unissent à des tribus arabes pour constituer un vaste foyer d’opposition à l’autorité almohade jusque vers 1226. Les chrétiens d’Espagne surtout mènent la Reconquista avec une énergie croissante. Vaincus à Alarcos en 1195, ils sont victorieux à Las Navas de Tolosa en 1212
La doctrine almohade allait en s’édulcorant. Une phase de persécution (assez peu poussée) contre les fuqahā’ mālikites, les juifs et les philosophes n’a pas de suite. Le calife Muḥammad an-Nāṣir (1199-1214) va jusqu’à répudier la doctrine et à favoriser les chrétiens. L’Empire s’écroule peu après. An-Nāṣir n’avait réussi à garder quelque autorité sur la Tunisie qu’en y déléguant le cheikh Abū Muḥammad, fils d’Abū Ḥafṣ ‘Umar. Son fils rompit avec le calife en 1228. Affaibli par les succès chrétiens, le pouvoir almohade en Espagne est remplacé par des petits royaumes musulmans. Au Maroc, les Banū Marīn (Mérinides), Berbères du groupe Zanāta, s’emparent des villes l’une après l’autre, et donnent le coup de grâce à l’Empire avec la prise de Marrakech (1269
Avant cet écroulement, l’ordre régnant sur la vaste zone hispano-maghrébine avait permis un grand développement de l’industrie et du commerce. Les relations commerciales étaient très actives avec les places chrétiennes, notamment Gênes, Marseille et Pise. L’armée et la marine almohades faisaient de l’Empire, avec les Ayyoubides en Orient, une des plus grandes puissances musulmanes. Le puritanisme du mahdī n’avait pas duré et ses successeurs furent vite gagnés par le goût du confort, du luxe et des arts. L’activité culturelle était intense et, notamment, les philosophes Ibn Ṭufayl et Ibn Rušd (Averroès) brillèrent à la cour almohade.
La musique était cultivée avec passion. L’architecture produisit des chefs-d’œuvre (mosquée de Ḥasan à Rabat, Kutubiyya et mosquée de la Kasba à Marrakech, Giralda de Séville , etc.). L’art almohade en général fut une admirable synthèse, d’une esthétique puissamment originale, d’une tonalité majestueuse, sévère et énergique.