La réédition du troisième ouvrage de Malek Bennab.i, Les conditions de la renaissance, publié pour la première fois par les éditions algériennes En-Nahda en 1949, répond à une triple , . preoccupat1on. Bien sûr, la réédition de cet ouvrage s’inscrit dans une conjoncture particulière, celle de la commémoration du centenaire de la naissance de l’un des penseurs algériens contemporains les plus féconds, les plus exigeants, les plus critiques au sens noble du terme critique, qui signifie indiquer ce qui fait sens pour les personnes et les sociétés, séparer le bon grain de l’ivraie, démêler l’accessoire de l’essentiel pour renouer avec le primordial actionne!, ! ‘Islam social, l’Islam civilisationnel, celui des hommes et des femmes en mouvement unissant dans une même tension, faite de foi dans le Créateur et de confiance dans la création, de recherche de la vérité dans le sens de connaissances scientifiques précises et exactes et d’efficience technicienne, des cœurs battants au rythme de la parole divine, des neurones éveillés et des mains habiles. Bien sûr, il est important, voire urgent de rééditer toute l’ œuvre de Malek Bennabi, tout simplement parce qu’elle représente une partie de notre patrimoine intellectuel, mais aussi et surtout parce que rarement une œuvre et son auteur n’auront été si copieusement trahis, dénaturés aussi bien par ceux qui ont cru bon de s’en démarquer avec une virulence agressive que par ceux qui ont eu l’outrecuidance de tenter de se l’approprier à des fins que Malek Bennabi dénonce de manière drastique. Ainsi en ’ est-il de la notion de ‘‘colonisabilité’’ que d’aucuns ont voulu assimiler à du défaitisme alors qu’il est un appel, un aiguillon à mettre en œuvre le célèbre verset coranique ‘‘Dieu ne change rien à l’état d’un peuple que celui-ci n’ait auparavant, transf()rmé son âme’’ pour justement renaître à la liberté de sujet historique sous la forme islamo-nationale et cesser d’être ‘‘colonisable’’. Ainsi en est-il encore du qualificatif d’‘‘islamiste’’ dont Malek Bennabi a été affublé au cours des dernières décennies dans le but de le vouer aux gémonies pour certains, de l’encenser pour d’autres.

Si l’on entend par ‘‘islamisme’’ la confusion entre religion et politique, l’adhésion à un modèle d’organisation politique à visée théocratique dirigé par des chouyoukh, la posture de Malek Bennabi est à mille lieues d’une telle position. Il n’a pas de mots assez durs pour fustiger la dérive politicienne des Ouléma en 1936 alors qu’il voue une immense admiration respectueuse à leur principal responsable, le cheikh Abdelhamid Ben Badis, pour le travail qu’il a initié en faveur de la renaissance culturelle et civilisationnelle de notre société. Plus encore, bien avant que des versets sacrés du Coran ne soient profanés au laser et ne viennent obscurcir le ciel d’Alger et la conscience de sa population, Malek Bennabi dénonçait déjà l’utilisation de l’Islam à des fins de propagande politique à l’instar du trop fameux ‘‘avion vert d’un élz1’’.

Les femmes et les hommes qui prendront l’initiative de lire ou de relire ce livre doivent savoir que la principale qualité de la pensée de Malek Bennabi est d’être dérangeante, menaçante même pour notre confort intellectuel apparent, fait trop souvent de syncrétisme entre un vécu islamique, qui oscille entre ritualisme et fidéisme, et un mimétisme malhabile à l’égard des produits matériels et symboliques de ce qu’il est convenu d’appeler de manière étrangement statique, la modernité. .1’’l( ( 1( I • 1 11 ca La fécondité de la pensée de Malek Bennabi tient dans le fait· qu’elle rompt de manière claire, intransigeante et souple à la fois avec ce syncrétisme, pour choisir la voie de l’inconfort . optimiste, de la difficulté créatrice, celle de la tentative de synthèse théorique et pratique entre l’élan de renouveler l;Islam et ce qui dans la pensée et dans la pratique de l’Occident peut fouetter, stimuler cet élan sans rompre en aucune manière avec ses catégories fondatrices. Là encore, il faut dissiper un malentendu. Malek Bennabi n’est pas anti-occidental. Il connaît intimement la France notamment où il a fait, chose exceptionnelle pour un étudiant algérien des années trente, des études supérieures de sciences exactes et de technologie. Il est aussi l’un des pionniers du .dialogue islamo-chrétien.

Il se revendique volontiers cartésien et a des affinités partielles avec la pensée de Nietzche. Par contre, il ne se réclame pas de la philosophie des Lumières du XVIIIe siècle qui est le lieu et le moment de la civilisation occidentale où s’élabore la catégorie centrale . constitutive de ce qu’il est convenu d’appeler la ‘‘modernité’’: l’homme défini en tant qu’individu autocentré, doublement désaffilié. En ce sens, Bennabi n’est pas un ‘‘intellectuel moderne’’. Il n’est pas non plus un ‘‘faqih’’. Il est au sens strict un intellectuel musulman modernisateur, vecteur d’une rationalité actionnelle.lovée dans le cœur battant de la foi islamique, vécue non sur le mode du repli et de la crispation identitaire mais sur celui de l’ ot1verture au monde curieuse et no1·1née, expansive et axée à la fois.

Abdelkader Djeghloul

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