La parution de la première édition du livre en langue arabe a révélé l’intérêt croissant que suscitent, dans le monde arabe et le monde musulman en général, les problèmes relevant de la sociologie. De plus en plus, la génération actuelle fait preuve de son désir de mieux comprendre les faits sociaux et leurs mécanismes. Il est normal, ainsi, qu’ayant lu la première édition de cet ouvrage, certains lecteurs livrent leur opinion sur la manière dont certains faits ont été traités. J’ai senti lors des débats engagés avec ces lecteurs que certaines explications que j’ai exposées ne leur avaient pas· offert l’éclaircissement souhaité. Parmi les points obscurs figure le rôle de l’idée en tant que facteur social qui influe sur l’orientation de l’histoire, malgré ma volonté de le préciser. Il se pourrait que lorsque j’ai abordé ce point dans la précédente édition, je ne l’aie pas explicité dans le détail. J’étais, en fait, convaincu par la brève explication du rôle qu’accomplit l’idée religieuse dans l’histoire ainsi que par les opinions de H. Keyserling sur le sujet et sur lesquelles je me suis fondé. Je veux parler de ses conclusions sur le rôle de l’idée chrétienne dans la synthèse de la civilisation occidentale. J’ai abordé ces points de vue dans le chapitre ‘‘L’éternel retour’’. Les points de vue des lecteurs se sont accordés sur le caractère vague et imprécis de ce point particulier et ils ont, en conséquence, proposé, pour y remédier, de lui consacrer un chapitre complet dans le présent ouvrage afin de clarifier le rôle de l’idée religieuse dans l’histoire.

Et comme je ne peux que m’associer à ces observations dont je reconnais, au demeurant, la pertinence, j’ai souhaité mettre à profit cette édition pour lui adjoindre un chapitre qui traite en particulier de l’effet de l’idée religieuse dans le cycle de la civilisation, me fondant cette fois sur les considérations psychosociales aux côtés des considérations historiques qui nous ont convaincus dans la précédente édition. En fait, lorsque nous abordons les choses sous cet angle, nous livrons au lecteur l’occasion pour appréhender lui-même l’influence directe de l’idée religieuse sur les faits psychosociologiques qui constituent le phénomène de l’histoire.

Quand nous affirmons, dans le chapitre ‘‘De l’entassement à la construction’’, que l’idée religieuse intervient comme un catalyseur dans la synthèse des éléments de l’histoire, nous admettons, par là, une réalité corroborée par l’histoire des civilisations. Néanmoins, cette confirmation intervient sous la forme d’un ‘’témoignage’’ sur ce phénomène et non sur la forme d’une ‘‘interprétation’’ acceptable de ce même phénomène. De ce fait, le lecteur a quelque peu raison de ne pas se montrer satisfait de ce ‘’témoignage’’, c’est-à-dire de ne pas se laisser convaincre par le jugement du seul historien· sans davantage de développements sur l’idée religieuse dans son action directe dans la conformation des âmes qui font remuer l’histoire.

C’est pour cette raison que j’ai acquis le sentiment que le lecteur attend plus qu’un simple témoignage de l’histoire, dans un tel sujet. Il s’attend à une analyse où il trouve des études objectives sur ce phénomène. Je veux dire des études qui abordent les choses dans leur essence et non dans leur forme. J’ai essayé de répondre à ce souhait pertinent et j’ai réservé, ainsi, dans cette édition, un chapitre sur l’effet de l’idée religieuse dans la synthèse de la civilisation, en recourant, cette fois, à la méthode de la psychanalyse qui dévoile clairement le plus grand aspect du ‘‘phénomène’’ dans ce catalyseur, puisqu’il nous démontre l’influence directe de l’idée religieuse sur les traits psychologiques de l’individu. Je ne puis prétendre, ici, que cette méthode offre au lecteur une ‘‘connaissance mathématique’’ du sujet. C’est un sujet où les mathématiques n’interviennent pas, vu qu’il se rapporte au monde des âmes. Un monde où l’esprit abstrait reste incapable de pénétrer totalement le. secret. Nous pouvons, toutefois, dire ’ que cette voie empruntée offre au lecteur une occasion de saisir comment se produit la catalyse sous l’impact de l’idée religieuse, grâce à une vision directe, différente de la vision indirecte de l’histoire. Ce qu’il faut signaler ici, c’est que le chapitre où ce sujet est évoqué, nous l’avons rédigé dans l’état d’esprit du sociologue qui tente de clarifier le rôle de l’idée religieuse dans la formation et l’évolution de la réalité sociale. Sachant que ce rôle n’est pas tout, pour l’idée religieuse. C’est qu’avant même d’entourer la recherche sur son rapport avec le monde du témoignage, nous avons admis d’abord son rapport avec le monde de la métaphysique. En termes plus précis, l’idée religieuse n’assume, à notre sens, son rôle social que dans la mesure où elle s’en tient à ses valeurs métaphysiques, c’est-à-dire dans la mesure où elle exprime notre vision de l’au-delà. Mais cette vision n’est .pas le st1jet de l’exposé. Nous lui avons consacré une autre étude*, de ce fait, notre exposé se limitera, ici, à l’aspect social. * Cf. Le phénomène coranique.

D’autre part, le lecteur, trouvera dans la présente édition un chapitre destiné à clarifier le rapport entre le principe éthique et le goût esthétique. Ceci pour mettre en avant sa grande influence en tant que facteur qui détermine l’orientation de la. civilisation et sa mission dans l’histoire. Je suppose que ce chapitre reste la première étude qui aborde le rapport entre le principe éthique et le goût esthétique, en tant que l’un des principaux critères en sociologie. Ainsi, nous aurons répondu de notre mieux au souhait du lecteur, dans cette édition. Nous souhaitons répondre à son attente avec ce que nous avons joint d’inédit pour satisfaire l’attente du lecteur, laquelle est le meilleur gage de l’effort de l’auteur.

M. B. 30 octobre 1960

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