La domination romaine

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La conquête

Il a fallu à Rome plus d’un siècle pour conquérir et incorporer dans son empire le monde hellénique issu de la conquête d’Alexandre.

Les efforts des derniers rois de la Macédoine, Philippe V et son fils Persée, ceux d’Antiochos III de Syrie pour organiser la défense de l’hellénisme furent contrecarrés par Rome avec l’aide des cités et des États grecs eux-mêmes. Les victoires romaines contre Philippe V (Cynoscéphales, 197), contre Antiochos III (traité d’Apamée, 188), contre Persée (Pydna, 168) ont déjà fait du monde grec et hellénistique un protectorat romain, et, après l’écrasement de la dernière révolte de la Macédoine par Caecilius Metellus en 146, Rome commence à annexer, l’une après l’autre, les formations hellénistiques. Le royaume de Macédoine, auquel on joint les territoires illyriens pour le mettre en contact direct avec l’Adriatique et l’Italie, est réduit en province et paye tribut.

La résistance de la ligue achéenne et d’un grand nombre de cités à l’intervention romaine dans leurs affaires, peu brillantes par ailleurs, finit par la défaite complète, l’anéantissement de Corinthe et la soumission de la Grèce (146).

Le tour du royaume de Pergame viendra bientôt. Un soulèvement de la population conduit par Aristonicos, fils naturel d’Eumène II, contre l’exécution du testament d’Attale III qui léguait à Rome ses trésors et ses domaines, fut maté par l’armée romaine secondée par les cités grecques. La plus grande partie du royaume se transforme en province romaine, la province d’Asie (129).

L’empire des Séleucides, réduit à la Syrie après les échecs d’Antiochos III (273-197) et d’Antiochos IV Épiphane (175-163) pour le relever, restera indépendant encore un siècle. Miné par les luttes intestines entre princes séleucides, par les guerres contre les Lagides d’Égypte, par les mouvements séparatistes des princes vassaux, par les attaques des Parthes, progressivement envahi par les tribus arabes, il sera finalement annexé à l’Empire par Pompée en 64 avant J.-C. et formera la province de Syrie.

La guerre contre les pirates qui, à partir des côtes du sud-ouest de l’Asie Mineure et des îles, ravageaient la Méditerranée orientale (78-66), les campagnes contre Mithridate VI (132 env.-63), roi du Pont qui, ayant réussi à former un État gréco-asiatique puissant, manifestait sa volonté d’indépendance, permettent à Rome d’annexer la majeure partie de l’Asie Mineure et les grandes îles, puis d’organiser ces territoires en provinces romaines.

La situation de l’Égypte n’est pas meilleure que celle de la Syrie : révolutions de palais, intrigues du gynécée, rivalités entre favoris, luttes pour le pouvoir entre princes lagides, révoltes des indigènes contre l’élément grec, interventions des Séleucides marquent son histoire tout au long des IIe et Ier siècles, jusqu’au moment où Auguste, après avoir triomphé d’Antoine et de Cléopâtre à Actium, annexa le pays en le transformant en province romaine directement attachée au domaine du prince (30 av. J.-C.).

Ainsi, à la fin de la République, la presque totalité du monde hellénique se trouve soumise à Rome.

L’organisation politique

La conquête du monde grec et de l’Orient hellénistique, qui fut lente et qui ne paraît pas avoir obéi à un plan d’ensemble, à une politique réfléchie et cohérente, garda pendant la période de la République, et même au-delà, un caractère d’occupation militaire et d’exploitation directe par des moyens plus fiscaux qu’économiques. Ce caractère militaire de l’occupation détermine en premier lieu l’organisation des régions conquises. Longtemps le schéma en reste simple, voire rudimentaire. Les territoires annexés deviennent des « provinces » sur lesquelles un magistrat possédant l’imperium militaire exerce, comme délégué du peuple romain, tous les pouvoirs. Les domaines des anciens rois, mais aussi ceux de certaines villes qui avaient particulièrement résisté à l’avance romaine, sont désormais propriété du peuple romain et sont déclarés ager publicus. Une loi spéciale pour chaque province, votée au moment de sa création, constituait une sorte de charte, délimitant son territoire, définissant son statut spécial et celui des cités situées sur son sol, fixant le montant et les modalités du tribut à payer, ce qui n’empêchait pas les gouverneurs, maîtres absolus dans leurs provinces, de commettre toutes sortes d’abus et d’exactions.

En l’absence de tout organisme étatique, les finances et l’exploitation étaient confiées à des fermiers, les « publicains ». Ceux-ci, par l’intermédiaire de sociétés capitalistes, contrôlaient effectivement les provinces, imposant leur volonté aux gouverneurs et aux sénateurs à Rome.

Néanmoins, l’attachement prolongé de la Rome républicaine au régime traditionnel de la cité, dont les magistrats suppléaient dans les provinces au manque d’un appareil adéquat d’administration centrale, permit aux cités grecques de prolonger leur indépendance pour quelques siècles encore, à condition évidemment de demeurer fidèles à l’Empire du point de vue militaire et diplomatique.

Rien n’est plus varié et plus changeant dans le temps que le statut accordé par Rome à ces cités ; il dépendait en effet de leur attitude au moment de l’occupation d’une région, ou des vicissitudes des événements en Orient. On peut pourtant discerner quelques principes généraux et quelques tendances constantes dans l’évolution de ce système. En principe, les cités grecques d’une région soumise restaient autonomes et gardaient leurs anciennes institutions. Certaines même, tributaires des rois hellénistiques, recouvraient leur indépendance. C’est le cas des villes de la Grèce après la soumission de la Macédoine (146), de celles du royaume de Pergame après son annexion (129), de celles de Syrie, de celles du Pont après la défaite finale de Mithridate. Mais les ligues et les confédérations de cités n’étaient plus tolérées. La ligue achéenne, probablement celle des Étoliens, et les confédérations de Béotie et de l’Eubée furent dissoutes après la soumission de la Grèce ; quant aux citoyens, ils n’avaient pas le droit de posséder ou d’acquérir des biens – ni probablement de se marier – dans une autre cité. Un nombre relativement restreint de cités ayant opposé une résistance étaient attachées directement au territoire d’une province, la plupart d’entre elles devenaient tributaires de Rome. Les cités neutres ou alliées demeuraient exemptes de toute imposition et étaient déclarées, les unes « fédérées », les autres « alliées » ou « libres » ; des traités particuliers réglaient leurs statuts.

C’est ainsi qu’Athènes et Rhodes, les deux plus importantes formations étatiques du monde helladique et égéen, ainsi que certaines villes d’Asie Mineure, continuent à avoir une vie politique propre. Athènes est particulièrement favorisée dès le début de l’occupation romaine : elle a gardé ses possessions en Attique et dans les îles ; Délos, déclarée port franc, lui est encore attachée. Rhodes, affaiblie pour un certain temps, recouvre sa puissance et ses territoires d’Asie après la défaite de Mithridate (Dardanos, 85 av. J.-C.). Thasos devient une ville libre et centre d’un petit État comprenant les îles voisines et ayant des possessions en Macédoine. Byzance est déclarée ville libre.

Économie et société

Si les différends entre cités sont depuis Pydna (168) réglés par l’arbitrage sous le patronage de Rome, les luttes politiques intérieures qui reflètent les luttes sociales de plus en plus aiguës continuent et s’aggravent. Les gouverneurs romains et les agents en mission interviennent constamment dans ces conflits et donnent en général leur appui aux partis oligarchiques. Le gouvernement des cités passe progressivement aux mains des riches, le régime démocratique est de plus en plus faussé.

Le développement sans précédent de l’économie du monde grec dans la Méditerranée et en Orient durant la période hellénistique ne s’arrêta pas avec l’occupation romaine. Le IIe et le Ier siècle avant J.-C. sont des périodes d’expansion économique, mis à part un court moment de régression. Malgré les guerres de la conquête, malgré l’activité des pirates en mer et des tribus arabes en Orient sur terre, les convois commerciaux sillonnent la Méditerranée de la mer Noire à Gibraltar, les relations avec l’Asie continuent par la mer Rouge. Rhodes est encore une république marchande d’importance, malgré la concurrence de Délos. Située au carrefour des routes commerciales, celle-ci est devenue le principal centre du commerce en Méditerranée, le plus grand marché d’esclaves en Orient, attirant les commerçants venus de tous les coins du monde méditerranéen qui forment des colonies et des compagnies commerciales grecques, juives, italiennes, syriennes. Athènes, qui possédait les ressources du Laurion, développe son activité commerciale après la défaite de la Macédoine ; ses belles monnaies ont cours légal chez tous les Grecs. L’agriculture, le commerce, l’industrie du verre enrichissent les cités syriennes ; l’activité des grandes villes d’Asie Mineure et d’Alexandrie ne fléchit pas.

Un processus de transformation des structures sociales du monde grec, commencé déjà au IIIe siècle, accompagne cette expansion économique. Les gens d’affaires, de plus en plus nombreux, accumulent des richesses et deviennent de véritables capitalistes. Dans les royaumes hellénistiques surtout, mais aussi dans les cités de la Grèce proprement dite, on constate la concentration de la terre entre les mains d’un nombre toujours plus restreint de grands propriétaires fonciers. À ces groupes de possédants s’oppose la foule des esclaves qui travaillent dans les champs, dans les ateliers et dans les mines, auxquels s’ajoute un nombre croissant d’ouvriers libres, de métèques dans les villes, de paysans appauvris ou sans terre sur les grands domaines. Les clivages anciens se déplacent et s’accentuent.

Les luttes sociales qui avaient marqué les cités grecques depuis le IIIe siècle (tentative de réformes sociales à Sparte, celles d’Agis et de Cléomène, surtout celle de Nabis en 204, puis celles de la ligue achéenne ; révolte des ouvriers de Corinthe en 146) et qui expliquent, plus que les particularismes locaux, la dissension entre cités, se généralisent. L’exploitation sans merci des provinces occupées par les gouverneurs, les publicains et les negotiatores romains, ainsi que par les consuls qui cherchent en Grèce et en Orient les ressources nécessaires pour vider leurs querelles (les batailles les plus décisives des guerres civiles entre Romains eurent lieu en Grèce : Pharsale, Philippes, Actium), concourt à l’extension de ce mouvement. En Orient et en Occident, les masses des esclaves et des défavorisés sont touchées par la propagande égalitaire de caractère communisant de certains cercles philosophiques et religieux, qui ont pour mots d’ordre l’abolition des dettes, la répartition de la terre, le droit de cité pour tous et la libération des esclaves. Partout éclatent des troubles, suivis de répressions sanglantes et de l’instauration dans les cités de gouvernements de plus en plus oligarchiques : soulèvement des esclaves en Sicile (135-132), révolte d’Andriscos de Pergame appuyée par les esclaves et les couches inférieures de la population (131-129), agitation des esclaves du Laurion à Athènes (131), insurrection à Délos (130) qui entraîne pour les Athéniens la perte d’une partie du pouvoir au profit des marchands et armateurs étrangers et des résidents romains, nouvelles révoltes des esclaves en Sicile et à Athènes en 104-100, à la suite desquelles la constitution d’Athènes devient oligarchique (102-101), soulèvement général en Asie Mineure et en Grèce contre l’exploitation romaine et les oligarchies indigènes pendant la première période des guerres de Mithridate (89-85) qui, dans sa lutte contre Rome, se présentait lui aussi comme le champion des libertés et des réformes sociales.

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