La mise en place des monarchies

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Si le sentiment national est en progrès, il est cependant évident qu’il ne s’agit pas de la seule valeur politique du temps. Les liens d’homme à homme, même s’ils ont changé de nature par rapport au Moyen Âge classique, sont toujours vifs. Il est même possible, en ces temps de clientèles et de «partis», qu’ils soient plus vigoureux encore qu’auparavant. Mais, surtout, compte la fidélité dynastique. Les souverains eux-mêmes font parfois passer les enjeux familiaux avant les enjeux nationaux. Traditionnellement suzerain, et à ce titre immergé dans le système féodal, le prince tend à devenir de plus en plus souverain, incarnation d’un principe politique en gestation: l’État. En la matière, l’Italie des seigneuries personnelles et des principats a peut‑être montré la voie aux monarchies plus anciennes.

Le «personnel» des États

Autour du souverain, le Conseil, mieux tenu en main, se renforce et parfois se spécialise. Le développement du phénomène curial marque à la fois la volonté de manifester la splendeur du pouvoir et le souci d’attirer auprès de soi, pour mieux les utiliser et mieux les contrôler, les élites sociales.

Les assemblées représentatives, qui ont connu une floraison exceptionnelle à la fin du Moyen Âge, subissent pour leur part des destins contrastés. Leur recul est manifeste dans nombre de pays, à l’image de la France: les Cortes de Castille et même le Parlement anglais jouent alors un rôle moindre. Cependant, dans l’Empire ou en Pologne, la place des diètes demeure très importante.

Incontestablement, les États (le mot prend alors son sens actuel) disposent de moyens accrus. Leur personnel s’étoffe: la figure de l’officier royal, suivant le modèle français – celui d’un agent stipendié et assez obéissant –, s’étend à l’ensemble du continent, Angleterre exceptée.

La fiscalité

Se développe parallèlement la vénalité des charges: malgré ses inconvénients, elle permet au souverain de remplir ses caisses et de s’assurer plus solidement de la fidélité de ses agents en cas de crise grave. La France et la papauté, suivant en cela l’exemple vénitien, sont les deux États les plus avancés dans cette voie au XVIe siècle. Il est vrai que la recherche de ressources régulières est une obsession: partout la fiscalité est en progrès, tout comme le souci de disposer librement des fonds alloués. La France et la Castille sont à la pointe du mouvement. Devant les irrégularités et les insuffisances des prélèvements, les systèmes de crédit public se renforcent. Ils juxtaposent prêts à court terme, obtenus le plus souvent soit des proches du pouvoir, soit des marchands‑banquiers, et mise sur pied d’un crédit à long terme fondé sur des rentes. Les besoins toujours accrus que représentent des opérations militaires de plus en plus coûteuses accroissent sans cesse les demandes. Le binôme guerre‑fiscalité, bien rodé dès le XIVe siècle, est l’un des éléments essentiels des progrès de l’État.

L’équilibre entre les empires

Une fois encore, l’Italie sert de modèle. Aux velléités de Naples et de Milan de contrôler la Péninsule répondent des résistances acharnées. L’aspiration à l’unité par la force est contrée par le souci de défense des libertés locales.

À partir de la paix de Lodi (1454), un véritable système d’équilibre entre les principaux États assure à la Péninsule une paix relative. Pour ce faire, il est nécessaire de développer une diplomatie complexe: l’Italie sert aussi de laboratoire en la matière, avec le recours aux ambassadeurs permanents, pratique bientôt généralisée en Europe. Mais ce jeu subtil, que les États italiens ont l’illusion d’être seuls à maîtriser, les conduit à faire appel aux puissances barbares, cest‑à‑dire étrangères, pour maintenir leurs équilibres internes, ce qui leur sera fatal.

À une plus large échelle, d’autres «Barbares» progressent: au XVe siècle, les Balkans tombent entièrement sous la coupe des Ottomans. Ceux-ci sont parvenus en 1453 à prendre Constantinople, mettant ainsi un terme à la longue agonie de l’Empire byzantin. Au même moment, l’Europe orientale est marquée par l’emprise croissante des Jagellons: à la fin du XVe siècle, ces derniers règnent l’un sur la Lituanie et la Pologne, l’autre sur la Bohême et la Hongrie.

Le nouveau rapport de force politique

Mais la force des aristocraties (il s’agit d’ailleurs de monarchies électives) les empêche de forger une construction politique solide. D’autant qu’en 1526 le royaume de Hongrie s’effondre sous les coups des Ottomans à Mohács. Si l’ensemble polonais subsiste, la succession magyare et bohémienne échoit par alliance aux Habsbourgs, qui se retrouvent ainsi en première ligne face aux Turcs. Il appartient à cette nouvelle construction impériale de contenir la poussée continentale des «infidèles», lors du siège de Vienne (1529) puis en Hongrie. En Méditerranée, où Venise supporte l’essentiel du fardeau, il faudra attendre l’échec du siège de Malte (1565) et la victoire de Lépante (1571) pour voir s’inverser la tendance. Au début du XVIe siècle, les ambitions et les succès français en Italie entraînent la constitution de coalitions adverses; l’Europe assimile progressivement la notion d’équilibre, apparue dans la Péninsule. La course aux alliances est permanente.

La fin des monarchies impériales

Lors du grand duel entre les Valois et les Habsbourgs, les puissances secondaires jouent un jeu de bascule au détriment de l’homme fort du moment: les princes italiens et le roi d’Angleterre se retrouvent ainsi contre Charles Quint au lendemain de sa victoire à Pavie (1525). On s’emploie aussi à tourner l’adversaire, les Français font des avances aux Ottomans, tandis que les Impériaux recherchent l’appui de l’Empire perse, rival des Turcs. Enfin, le recours aux «ennemis de l’intérieur» – par exemple, le connétable de Bourbon ou les luthériens de l’Empire – est fréquent. À terme, l’impuissance à vaincre éclate: jamais les victoires ne sont décisives. Plus encore que le fruit du jeu des puissances, cela s’explique par les possibilités restreintes des États. Malgré de réels progrès, leurs moyens sont encore limités, particulièrement dans le domaine financier, ce qui paralyse bien des projets.

L’abdication de Charles Quint (1556) correspond à l’échec définitif de l’ambition impériale, minée avant tout par ses faiblesses internes. Elle amorce cependant le triomphe des monarchies nationales, y compris espagnole.

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