Le 26 décembre 1991, à 23 heures, Larbi Belkheir, ministre algérien de l’Intérieur, entre dans la salle de presse où piaffent d’impatience plusieurs centaines de journalistes venus du monde entier couvrir les premières élections législatives pluralistes de l’histoire de l’Algérie indépendante. Cette consultation avait une importance capitale. En premier lieu, elle devait décider d’un choix de deux projets de société radicalement différents. Les intégristes, en cas de victoire, se promettaient de provoquer une rupture radicale afin d’instaurer la république islamique de leurs rêves. Par ailleurs ce scrutin était suivi avec une extrême attention par tous les autres pays musulmans car il avait valeur de test.

L’Algérie avait choisi de légaliser un parti islamiste, espérant le banaliser puis le marginaliser, alors que tous les autres dirigeants arabes avaient opté pour la manière forte face à la résurgence des mouvements religieux. Dès que le silence se fit dans la salle, le ministre annonça laconiquement que les premières informations reçues préfiguraient un ballottage généralisé au premier tour. Il s’éclipsa en promettant de revenir plus tard. À son retour, il a le visage défait. Il tente de lire le texte qu’il tient d’une main tremblante, mais bafouille tellement que les journalistes présents n’estiment pas nécessaire d’écouter les résultats qu’il va annoncer.

Ses traits tirés confirment le raz de marée intégriste qu’il s’évertue à minimiser. Après vingt-six ans d’un régime de parti unique et d’une politique socialisante, le premier suffrage démocratique de l’Algérie propulsait un mouvement qui se proposait d’établir une nouvelle forme de dictature. Dès le premier tour, le Front islamique du salut (FIS) raflait 188 mandats. Il devenait certain que, trois semaines plus tard, il disposerait de plus de la moitié des 430 sièges soumis au verdict des électeurs. Beaucoup de citoyens, comme le gouvernement, avaient parié sur un score électoral islamiste évoluant entre le quart et le tiers des votants.

Ce fut le choc. Les intégristes pavoisaient. Leurs adversaires étaient consternés. Qu’est-ce que ce parti qui se réclame de l’islam et de la charia, le droit canon musulman ? Pourquoi le plus moderne des pays arabes s’est-il retrouvé dans cette situation ?

Quelles sont les causes de cette dérive ? Comment est-il parvenu à séduire tant d’individus, tant d’hommes et surtout tant de femmes ?

Retour à la page d'accueil de: