Jamal al-Din Al-Afghani

personnalites
Auteur:
Source ou livre:
Numéro de la page:

Al-Afghani, Sayyid Jamal al-Din Assadabadi, surnommé (1838/9-1897)

Philosophe musulman et activiste politique, Al-Afghani est considéré comme l’un des pères fondateurs du réformisme moderne en islam, aux côtés de Muhammad ‘Abduh* et Rashid Rida*.

La biographie du personnage n’est pas sans ambiguïtés, ce qui le rend d’autant plus fascinant. S’il se fait surnommer « l’Afghan » et se présente comme un sunnite, tout laisse à penser qu’il est né iranien, dans la ville d’Assadabad, et shi’ite – certains affirment même qu’il aurait été un temps proche du shaykhisme (voir Shaykh* Ahmad) – et il se fera plus tard franc-maçon, pour des motifs apparemment plus tactiques que spirituels. En tout cas, il voyage énormément.

Sa première formation religieuse lui est dispensée entre Qazvin et Téhéran, avant son départ pour l’Inde vers dix-sept ou dix-huit ans, où il demeure un certain nombre d’années. Ces années indiennes sont décisives pour l’élaboration de sa doctrine : c’est en constatant l’échec de la révolte des Cipayes en 1857 qu’il se forge la conviction que les musulmans ne pourront résister à l’impérialisme occidental qu’en adoptant les outils de sa modernité technique et scientifique et en s’unissant dans un mouvement islamique transnational.

Il accomplit ensuite son pèlerinage à La Mecque et en profite pour visiter le Moyen-Orient et l’Asie centrale : il est notamment à Kaboul (où il apprend l’arabe) à partir de 1863 ou 1866 et jusqu’en 1868, d’où il gagne Istanbul ; là il reçoit un accueil favorable de la part des réformateurs turcs et des autorités ottomanes. Mais c’est au Caire, où il arrive en 1871 et où il restera plusieurs années, qu’il développe la plupart de ses idées réformistes à travers de nombreuses conférences publiques que suivent un grand nombre de futurs penseurs, dont ‘Abduh, qui sera dès lors son plus proche disciple. Expulsé pour son activisme politique en 1879, il voyage dans les principales capitales européennes et est rejoint à Paris en 1882 par son disciple ‘Abduh avec lequel il fonde Le Lien indissoluble (Al-‘Urwa alWuthqa), revue séminale de ce qu’il faut bien appeler l’islamisme, c’est-àdire cette doctrine politique selon laquelle l’islam, s’il s’ouvre à la modernité scientifique, peut constituer un instrument de rassemblement des populations menacées par l’impérialisme en les amenant à dépasser leurs particularismes sur la base de valeurs communes, qui ne sont d’ailleurs pas particulièrement religieuses – beaucoup s’accordent à reconnaître qu’AlAfghani ne prétend pas à une piété particulière, ni qu’il se présente comme autorité théologique.

Les Anglais, qui font interdire la revue dès septembre 1884, ont vite compris le ferment qu’elle pouvait constituer pour la contestation radicale qui allait s’abattre sur leur empire.

En effet, l’expression « le lien indissoluble » est empruntée au Coran (31 : 22), où elle désigne les croyants qui font le bon choix en se soumettant à « l’anse solide », c’est-à-dire la foi en un Dieu unique, après avoir contribué à la récusation systématique des idoles, dont l’Empire britannique serait l’archétype moderne.

En 1892, l’agitateur politique rejoint le sultan ottoman Abdülhamid II (1876-1909) en vue de l’aider à lancer une Ligue des pays musulmans, sorte d’Internationale islamiste visant à bouter l’Occident hors de toutes les terres arabes et musulmanes qu’il occupe. Celui qui « croyait plus à l’islam qu’à Dieu », pour reprendre le mot de Cartwright, n’achèvera jamais son projet, car il meurt à Istanbul en 1897. Jamal al-Din al-Afghani défend un islam nouveau à la fois par l’action et par les idées.

Celles-ci s’expriment notamment dans le domaine du droit coutumier (statut de la femme, héritage) et dans des usages sociaux plus larges.

Il est l’auteur d’un grand nombre d’écrits et d’opuscules, dont beaucoup ont été publiés par sa revue, après le Journal des débats où il croise le fer avec Ernest Renan (1823-1892), grand connaisseur de l’Orient et spécialiste d’Averroès. Du haut de son magistère, Ernest Renan proclame haut et fort que l’islam n’est pas compatible avec la science, tandis qu’AlAfghani rétorque dans un article des 18-19 mai 1883, toujours dans le Journal des débats, qu’avec le temps, justement, l’islam saura se frayer le même chemin que l’Occident pour s’imposer par sa rationalité comme il s’est imposé naguère par sa philosophie, sa médecine et son appétence pour toutes les disciplines scientifiques. L’Occident n’a pas à avoir peur de ce progrès, car il va trouver face à lui un partenaire, certes coriace, mais toujours pertinent. On lui doit aussi un livre, son premier en fait, La Vérité sur la secte des Nayshari et démonstration relative aux Nayshariyyun (Hakikat-i Madhhab-i Nayshari wa Bayan-i Hal-i Nayshariyyan) que Muhammad ‘Abduh traduit à Beyrouth dès 1886 sous le titre de Al-Radd ‘ala al-dahriyyun (La Réfutation des matérialistes).

Le livre attaque frontalement la thèse de sir Ahmad Khan* Bahadur selon laquelle les Britanniques pouvaient aider à construire, en Inde, une université moderne sans chercher à la contrôler. Dans le même ouvrage, Al-Afghani raille la théorie darwinienne de l’évolution avant d’accepter plus tard ses arguments.

En général, dans ses livres, les problématiques traitées reprennent les questions de l’indépendance politique et intellectuelle du monde arabe et de l’islam, y compris via son réenchantement, mais aussi l’éducation, la famille, l’enseignement, le droit, le progrès scientifique et finalement la réforme des pratiques musulmanes les plus obsolètes. Personnage mystérieux et charismatique, Al-Afghani a marqué durablement la pensée politique de l’islam contemporain.

La Réfutation des matérialistes, trad. A.-M. Goichon, Paris, Geuthner, 1942. ENAYAT, 1982 ; HOURANI, 1983 ; JOMIER, 1954 ; KALOTI, 1974 ; KEDDIE, 1968 & 1972 ; KEDOURIE, 1966 ; PAKDAMAN, 1969.

Malek Chebel

Dictionnaire des réformateurs musulmans des origines à nos jours.

comments powered by Disqus