Capitale de l’Autriche, des États fédérés d’Autriche et de Vienne, sur le Danube, le Donaukanal et la Wien, la ville s’étend sur 415 km2 et son agglomération compte 1,8million d’habitants.
Installée au débouché des Alpes dans la plaine pannonienne, dans un site entouré de collines boisées (Kahlenberg, 484 m; Hermannskogl, 542 m) dominant la rive droite du Danube, Vienne, divisée en 23 arrondissements, n’est plus aujourd’hui que la capitale d’un petit État. Important carrefour (aéroports de Schwechat et d’Aspern) commercial et industriel: constructions mécaniques, automobiles et ferroviaires; textile (laine) et confection; chimie (caoutchouc); verreries; instruments de musique (pianos); agroalimentaire (brasseries); tabac. Foyer politique (administration; siège d’organismes de l’ONU, de l’OPEP) et culturel (université, monuments, musées), la cité ne rayonne plus sur le monde danubien (elle comptait 2 millions d’habitants en 1910). Grandie autour du Graben médiéval (cathédrale gothique Saint-Étienne), elle s’est développée ensuite à l’intérieur du Ring, aux promenades bordées de palais et d’édifices baroques, néogothiques et néoclassiques (Opéra, Parlement, hôtel de ville, Burgtheater, Kunsthistorisches Museum, etc.). Les quartiers résidentiels se sont étendus vers l’ouest jusqu’à la Gürtel («ceinture»), au pied des collines de la Forêt viennoise, en une banlieue continue (Ottakring, Hernals, Währing, à l’ouest; Simmering, Favoriten, Meidling, Hietzing et Mödling, au sud; Salmannsdorf, Sievering, Döbling et Grinzing, au nord). En émergent les parcs de Schönbrunn, au sud-ouest, et du Prater, entre le Donaukanal et le Danube. Sur la rive gauche s’étendent d’autres agglomérations, vers le Marchfeld (Floridsdorf, Leopoldau, Aspern, Donaustadt, Lobau). L’industrie se développe au sud-est (Schwechat).
Si, éprouvée par deux guerres mondiales, elle semble avoir pâti d’une certaine perte d’identité et s’être quelque peu endormie dans le confort de ses célèbres cafés, la capitale autrichienne, à la croisée des mondes latin, germanique, magyar et slave, a affirmé, dès la fin du XVIIesiècle, une vitalité culturelle qui a rejailli sur l’Europe tout entière. Elle reste associée aux fastes du baroque comme à la modernité du Jugendstil et de la Sécession, aux noms des plus grands compositeurs comme à ceux des plus grands écrivains et des plus grands penseurs, de Schubert à Berg, de Musil à Zweig, de Freud à Wittgenstein.
Sur un site occupé depuis l’âge du bronze, les Romains, après s’être rendus maîtres du royaume de Norique, installent une garnison dans l’établissement celte de Vindobona, «la ville blanche», au bord du Danube. La ville est périodiquement envahie par les Barbares de la fin du Ve siècle jusqu’en 881; elle réapparaît alors (ville franque opposée aux Magyars) et prend le nom de Wenia la même année, puis celui de Wienne en 1030. Son essor reprend grâce aux Babenberg, Léopold étant devenu le premier margrave héréditaire de la marche orientale, ou «Ostarrichi». Les Babenberg restent en place jusqu’en 1246 et, après un interrègne troublé, le pays passe aux mains du roi de Bohême Ottokar. Mais en 1278, celui-ci est tué à la bataille de Dürnkrut, remportée par Rodolphe Ier de Habsbourg, contre lequel les Viennois se soulèveront, révolte bientôt matée. Certes, les nouveaux maîtres ne s’imposent pas sans heurts – la ville est prise en 1485 par le roi de Hongrie Mathias Corvin, qui la conservera jusqu’à sa mort, cinq ans plus tard; par deux fois, en 1529 et en 1683, Vienne est assiégée par les Turcs, qui sont repoussés –, mais c’est bien la marque des Habsbourgs que porte la ville: les empereurs du Saint Empire en feront leur résidence principale, épisodiquement à partir de 1438 et définitivement après 1611.
Délivrée de la menace ottomane après la victoire du Kahlenberg (1683), la ville fut embellie au XVIIIe siècle par Charles VI, par Marie-Thérèse et par Joseph II, et devint une véritable capitale impériale, baroque et germanique. Occupée deux fois par les troupes napoléoniennes, quelques mois à la fin 1805 et au début 1806 et en 1809, elle fut le siège du congrès (1814-1815) au cours duquel l’Europe sera redessinée, sous l’influence du chancelier Metternich. La classe montante est alors la bourgeoisie. Le 13 mars 1848 éclate une révolution sanglante, la ville ne se rendra que le 31 octobre. Commence alors le long règne de François-Joseph, qui ne finira qu’en 1916. À l’issue de la Première Guerre mondiale, la municipalité passe aux socialistes, qui tentent de donner à la ville une infrastructure moderne. Mais, la crise économique mondiale aidant, une guerre civile éclate en 1934, favorisant la montée d’un pouvoir fort dans un pays affaibli, et bientôt l’Anschluss et l’invasion allemande, le 12 mars 1938. Divisée en quatre secteurs d’occupation alliée en 1945, la ville a retrouvé son rôle de capitale en 1955.
De l’époque médiévale ne subsistent que de rares témoignages, parmi lesquels la cathédrale Saint-Étienne, édifice gothique achevé seulement en 1511. C’est dans la foulée d’une Contre-Réforme triomphante, soutenue par la famille impériale, que Vienne connaît une intense activité dans le domaine architectural et se couvre de réalisations majeures du baroque tardif et du rococo: palais du Belvédère inférieur, élevé par Lucas von Hildebrandt de 1714 à 1716, Belvédère supérieur, construit en 1721-1723 par le même architecte pour le prince Eugène de Savoie, palais Schwarzenberg et Liechtenstein. La Hofburg, le palais impérial, est agrandie et embellie; l’érection de la Bibliothèque impériale est entreprise par Johann Bernhard Fischer von Erlach. Celui-ci remporte le concours lancé pour la construction de l’église Saint-Charles-Borromée, ou Karlskirche, édifiée en accomplissement d’un vœu de Charles VI durant la peste de 1713. Il entreprend ce chef-d’œuvre du baroque tardif en 1716, et son fils Josef Emanuel l’achève de 1722 à 1739: la coupole ovale est ornée de fresques de Johann Michael Rottmayr et de Gaetano Fanti, deux colonnes sculptées de bas-reliefs en spirale célébrant la vie du saint, protecteur contre la peste, flanquent la façade à fronton.
Entre-temps, l’impératrice Marie-Thérèse fait de Schönbrunn une sorte de Versailles viennois. Vienne attire des artistes italiens – d’Andrea Pozzo à Domenico Martelli –, tandis que Hildebrandt ou Fischer von Erlach s’inspirent de Francesco Borromini et de Guarino Guarini. François de Lorraine, l’époux de Marie-Thérèse, contribue à diffuser l’influence française et Jean Nicolas Jadot, de Lunéville, bâtit l’amphithéâtre de l’Université.
La réaction classique est manifeste sous le règne «éclairé» de Joseph II, surtout dans le domaine d’une architecture d’utilité publique: bâtiments administratifs, hôpitaux, avec Isidore Canevale. Au début du XIXe siècle, après le règne de Joseph II, une architecture palatiale grandiose réapparaît, avec Louis Montoyer, originaire des Pays-Bas du Sud. En 1819, l’empereur François Ier fait appel au Tessinois Pierre de Nobile, dont le style est proche de l’esprit de l’architecture romaine néoclassique. Parallèlement se développe alors, en accord avec la mentalité bourgeoise de l’époque (au cours de laquelle Beethoven et Schubert composent l’un ses symphonies, l’autre ses lieder, tandis que triomphe une nouvelle danse, la valse), l’architecture Biedermeier, fondée sur une vive compréhension des données nouvelles de l’utilité et de l’intimité propres à la vie privée. Josef Kornhäusel est le représentant de ce courant. Toutefois, dès 1830 dominent les tendances historicistes, qui culmineront durant le très long règne de François-Joseph. Ce dernier détermine le programme urbanistique viennois en décidant la création d’un boulevard circulaire, le Ring, à la place des anciens remparts; et la Ringstrasse sera bordée de majestueux édifices. Si certains s’en tiennent encore à un classicisme moribond, tel Paul Sprenger, de nombreux architectes, dont le Viennois Rudolf von Eitelberger, s’inspirent des leçons de l’Allemand Gottfried Semper. Le représentant le plus significatif de l’historicisme est Heinrich von Ferstel, à qui l’on doit l’église votive, néogothique, le musée des Arts appliqués (1864), qui réinterprète la Renaissance, tout comme la salle de concert du Musikverein, du Danois Theophil von Hansen, par ailleurs architecte du Parlement, néo-grec. De nombreux architectes sacrifient au style néo-Renaissance: ainsi Eduard Van der Nüll et August von Siccardsburg au Staatsoper. Le Kunsthistorisches Museum et le Burgtheater sont l’œuvre de Semper et Karl Hasenauer. Quant à Friedrich von Schmidt, il conçoit un hôtel de ville néogothique.
En totale opposition à l’éclectisme et au pastiche, de rigoureux innovateurs vont contribuer à fixer certains éléments essentiels de l’architecture moderne; ainsi s’impose la Wiener Schule der Architektur, avec Otto Wagner et ses brillants élèves, Adolf Loos, Josef Hoffmann et Joseph Maria Olbrich. Cette réaction s’affirme d’abord dans la mouvance internationale et l’Art nouveau avec le Jugendstil; mais les préoccupations purement décoratives laissent vite place à une réflexion sur la fonction de l’architecture et sur l’utilisation de nouveaux matériaux. Loos ira jusqu’à condamner toute ornementation, et dès 1907 naît une architecture fonctionnelle aux formes purement géométriques. Cette volonté créatrice se matérialise dans le bâtiment de la Sécession, conçu par Olbrich (1898), où la fière devise qui accueille le visiteur fait figure de programme: «À chaque siècle son art, à l’art sa liberté.» L’épopée de la modernité viennoise sera approfondie dans les chapitres consacrés à la peinture et aux arts appliqués.
Durant l’entre-deux-guerres, la municipalité socialiste de Vienne encourage la construction de logements sociaux (Gemeindehäuser), où s’illustrent les architectes Karl Ehn, Josef Frank et Franz Schuster. Dans les années 1980, la municipalité confie la réalisation de logements à des artistes, tel Fritz Hundertwasser, qui conçoit une joyeuse fantaisie couverte de matériaux de récupération colorés, et hérissée de bulbes et de pignons. À la fin du XXe siècle, Vienne apparaît partagée entre la préservation de son patrimoine et la création contemporaine: la cathédrale Saint-Étienne se reflète dans la façade de verre et d’acier de la Haashaus, galerie marchande postmoderne conçue par Hans Hollein.
La période la plus faste de la sculpture à Vienne est celle qui voit triompher le baroque. Véritable pyramide de nuées, élevée de 1681 à 1693 en accomplissement d’un vœu de Léopold Ier, la Pestssäule (colonne de la Peste), au centre de la place du Graben, est une œuvre collective supervisée par Fischer von Erlach, la statue de l’empereur agenouillé étant, elle, due à Paul Strudel. L’esprit baroque est encore accentué par la présence à Vienne des sculpteurs vénitiens Giovanni Giuliani et Lorenzo Matielli, tandis que Georg Raphael Donner sculpte la grande fontaine du Neuer Markt. Quant à Balthasar Permoser, il donne avec l’Apothéose du prince Eugène un des chefs-d’œuvre du rococo européen. Le XIXe siècle, dans le domaine de la sculpture – qui voit la prédominance de l’éclectisme et de l’historicisme –, n’offre, à vrai dire, aucune figure viennoise marquante, et, à la fin du siècle, les regards seront tournés volontiers vers l’Allemand Max Klinger, le Belge Constantin Meunier et le Français Rodin.
Dans le domaine pictural, au XVIIIe siècle, de remarquables fresquistes – Johann Michael Rottmayr ou Daniel Gran – se souviennent des leçons des Italiens, surtout de celles d’Andrea Pozzo. L’époque Biedermeier est marquée par des portraitistes tels Friedrich von Amerling ou Ferdinand Georg Waldmüller, par ailleurs excellent paysagiste. Quant à Hans Makart, il fait écho, avec un art qui se souvient à la fois des Vénitiens du XVIe siècle et de Rubens, au style pompeux des édifices du Ring, le Ringstrassenstil. Mais, tout en s’inspirant de la grande tradition décorative européenne, Makart prépare l’avènement triomphal de l’Art nouveau, et la dette du jeune Gustav Klimt à son égard est loin d’être négligeable. Les portraits psychologiques et les ambiances parfois morbides d’Anton Romako le rapprochent du symbolisme.
La modernité viennoise «fin de siècle» va toutefois s’affirmer par une rupture radicale avec le passé. Un extraordinaire bouillonnement agite tant la musique, la littérature, la psychologie (Freud) que la philosophie, où se produisent autant de révolutions artistiques et intellectuelles. L’Empire austro-hongrois, encore extérieurement très fastueux mais dont le déclin est irrémédiable, apparaît, selon les termes de Karl Kraus, comme «le laboratoire de la décadence du monde»; Hermann Broch, lui, qualifie ce glorieux crépuscule d’«Apocalypse joyeuse». Gustav Klimt est la figure emblématique de la Sécession. En 1897, il quitte la Maison des artistes (Künstlerhaus), une association viennoise, suivi par quarante artistes avec lesquels il fonde la Sécession. Dès 1898, celle-ci possède sa propre revue mensuelle, Ver sacrum («Printemps sacré»). Très sensible à l’esprit de l’Art nouveau, Klimt élabore une peinture symboliste éminemment sensuelle où triomphent la Femme et son énigme. C’est aussi un remarquable décorateur. Mais déjà son art tardif laisse entrevoir un courant plus violent, l’expressionnisme, dans lequel vont s’affirmer Egon Schiele et Oskar Kokoschka. Le premier, marqué à ses débuts par Klimt, laisse, malgré une carrière tôt interrompue, un monde qui mêle inextricablement une sexualité exacerbée et une profonde désespérance, à travers un style largement dominé par un graphisme d’une extrême nervosité. Le second s’intéresse d’abord à la lithographie, au théâtre expressionniste, puis à la peinture à travers des portraits psychologiques qui ne sont pas sans faire écho aux nouvelles investigations psychanalytiques. Peut-être plus encore que Schiele, Kokoschka élabore un art expressionniste âpre et véhément, en totale rupture avec les ultimes manifestations du symbolisme. D’autres personnalités s’imposent: Carl Moll, paysagiste, auteur de scènes d’intérieur intimistes; Koloman Moser, aux activités multiples liées à l’atelier des Wiener Werkstätte; le dessinateur visionnaire Alfred Kubin; Richard Gerstl, dont les portraits d’une rare puissance sont proches de l’expressionnisme.