Les cités grecques

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On a coutume de distinguer dans l’histoire des cités grecques trois périodes majeures : archaïque, classique, hellénistique ; cette dernière s’achève par la mainmise de Rome sur la Grèce des cités.

La période archaïque

La première période est assez mal connue, car on ne dispose que de témoignages souvent tardifs ; elle se caractérise essentiellement par deux séries de faits : la colonisation et la tyrannie.

La colonisation étendit démesurément les limites du monde grec et en implanta la civilisation depuis l’Espagne jusqu’aux rives du Pont-Euxin , avec des conséquences politiques, économiques et culturelles considérables. La tyrannie constitue un moment essentiel dans l’histoire des cités grecques, en assurant le passage de la cité aristocratique des VIIIe-VIIe siècles à la cité isonomique de l’époque classique. Certes, toutes les cités ne passèrent pas par ce stade, et l’exception la plus remarquable reste celle de Sparte, mais Corinthe, Sicyone, Argos dans le Péloponnèse, Samos, Milet en Ionie, Athènes enfin, sans parler des cités grecques d’Occident, subirent le joug de la tyrannie entre le milieu du VIIe et la fin du VIe siècle.

On s’est évidemment interrogé sur l’origine de ce phénomène. Pour certains auteurs, le tyran aurait été une sorte de prince marchand qui, s’appuyant sur une classe nouvelle d’artisans et de commerçants enrichis par le commerce et les échanges, aurait chassé la vieille aristocratie foncière jusque-là dominante. D’autres ont montré que, presque partout, la tyrannie est apparue là où les transformations internes de la société avaient fait naître une crise agraire, et que le tyran s’efforce, par une plus juste répartition du sol, d’y trouver des palliatifs. On a avancé aussi comme élément d’explication les transformations profondes que subit alors la tactique militaire, avec le développement du combat hoplitique. Or, celui-ci était en contradiction avec l’existence d’une aristocratie militaire étroite, qui de ce fait était condamnée à disparaître. En réalité, tous ces facteurs ont pu jouer et leur combinaison explique la variété des expériences tyranniques. Mais, par-delà cette diversité, subsiste une certaine unité qui contribue à donner au monde grec du VIe siècle finissant une physionomie nouvelle. Presque partout, la communauté des citoyens soldats est devenue souveraine, même si elle délègue tout ou partie de cette souveraineté à des corps plus ou moins restreints. Presque partout aussi, la production et les échanges ont fait de rapides progrès, et la monnaie devient un instrument normalement employé. Enfin, des relations se sont établies de cité à cité, des systèmes d’alliance ont été constitués, dont le plus puissant est sans conteste celui qui unit les cités péloponnésiennes, libérées de la tyrannie, à Sparte, l’ennemie des tyrans.

La période classique

Les guerres médiques

L’empire perse s’était constitué au cours de la seconde moitié du VIe siècle, sous la conduite de Cyrus, de son fils Cambyse et du successeur de celui-ci, Darius. Les Perses, partis des hauts plateaux de l’Iran, avaient réussi à soumettre à leur domination le plateau anatolien, la Syrie, la Palestine, la Babylonie, l’Égypte, encerclant ainsi les cités grecques d’Asie qui avaient fini par accepter la domination du vainqueur. Domination qui ne paraît pas d’abord avoir été trop lourde, mais qui, favorisant certaines intrigues politiques dans des cités à peine sorties de la crise de la tyrannie, provoqua un mouvement de révolte qui éclata en Ionie, en 499, à l’initiative de Milet. Les cités ioniennes révoltées firent appel aux cités de la Grèce proprement dite ; Athènes, qui se voulait la métropole de l’Ionie et qui, depuis les réformes du législateur Clisthène (508 av. J.-C.), était sortie de la crise qui l’avait secouée pendant tout le VIe siècle, envoya vingt navires au secours des Ioniens. La révolte connut d’abord quelques succès : les alliés s’emparèrent de la capitale lydienne du Grand Roi, Sardes, qu’ils incendièrent (498), mais bientôt il leur fallut se soumettre, et les Athéniens regagnèrent leur patrie.

Le répit, cependant, fut de courte durée : Darius mort, son fils Xerxès reprenait ses projets sur une échelle beaucoup plus vaste. Il entendait en effet faire passer en Grèce une armée considérable, formée de contingents venus de toutes les parties de son vaste empire, armée qui emprunterait la voie de terre, en franchissant l’Hellespont sur un pont de bateaux, tandis qu’une flotte non moins considérable prenait également le chemin de l’Hellade. Face à la gravité du danger, les cités grecques s’unirent pour faire front : une première réunion des délégués des cités grecques eut lieu au temple de Poséidon, dans l’isthme de Corinthe. La volonté de résistance des Grecs était loin d’être unanime. Certaines cités, comme Thèbes, étaient disposées à ouvrir leurs portes à l’ennemi. D’autres, comme Sparte, souhaitaient surtout renforcer la défense de l’isthme afin d’assurer la sauvegarde du Péloponnèse. Mais Athènes, elle, était prête à faire front. Elle avait alors à sa tête un homme nouveau, c’est-à-dire n’appartenant pas à la vieille aristocratie des genè, Thémistocle. Celui-ci, ayant compris que le destin d’Athènes se jouerait sur mer, avait fait affecter l’argent tiré d’un nouveau gisement de plomb argentifère, récemment mis au jour au Laurion, à la construction d’une flotte de deux cents trières. C’est de cette flotte que vint le salut de la Grèce. En effet, malgré la résistance héroïque de Léonidas, le roi spartiate, aux Thermopyles, l’armée de Xerxès avait réussi à pénétrer en Grèce sans rencontrer une sérieuse résistance, et, une partie des cités béotiennes s’étant ralliées à lui, le Grand Roi avait pu s’avancer avec son armée jusqu’en Attique, abandonnée par ses habitants qui s’étaient réfugiés à Salamine. Dans le même temps, la flotte perse, malgré une demi-victoire de la flotte grecque au large du cap Artémision, s’apprêtait à se rendre maîtresse de la rade de Phalère, coupant ainsi toute possibilité de retraite à la flotte grecque. Thémistocle réussit alors par la ruse à attirer une partie des navires ennemis dans la rade de Salamine, où s’affirmèrent la supériorité et la rapidité des flottes athéniennes et éginètes, qui détruisirent de nombreux navires et contraignirent les Perses à la retraite (sept. 480). L’année suivante, à Platées en Béotie, le reste de l’armée perse qui était demeuré en Grèce fut battu à son tour. C’en était fini des expéditions perses vers la Grèce, et les Grecs eurent le sentiment qu’ils venaient de remporter une très grande victoire et d’affirmer la supériorité de la liberté grecque sur la monarchie barbare.

La ligue de Délos

Les conditions mêmes de la victoire, le fait qu’Athènes – et singulièrement la flotte athénienne – avait été le principal artisan de la victoire eurent des conséquences importantes pour l’avenir de la Grèce. Athènes, en effet, n’entendait pas laisser de répit à l’ennemi. Il s’agissait de profiter de son désarroi pour libérer les Grecs d’Asie, s’assurer des positions stratégiques dans le nord et l’est de l’Égée. Sparte hésita à la suivre sur ce terrain et rappela le roi Pausanias, le vainqueur de Platées, qui s’était emparé de Byzance. Désormais, Athènes prenait la tête des Grecs associés dans une guerre de libération et de défense : ce nouvel état de fait fut concrétisé par la formation d’une ligue dont le centre se trouvait au sanctuaire d’Apollon à Délos, et qui rassemblait autour d’Athènes les cités grecques d’Ionie et des îles soucieuses d’empêcher tout retour offensif du Grand Roi et de préserver par une alliance militaire leur liberté reconquise. Athènes était tout naturellement placée à la tête de cette ligue dont le trésor commun, déposé dans le sanctuaire de Délos, était alimenté par les tributs versés par les cités alliées. Seules les grandes îles – Lesbos, Chios, Samos – contribuaient à la défense commune par l’envoi de contingents maritimes. L’essentiel de la force militaire des alliés était constitué par l’armée et la flotte athéniennes, et placé sous le commandement de stratèges athéniens. L’un d’eux, Cimon fils de Miltiade, le stratège qui avait commandé à Marathon et qui devait diriger la politique extérieure d’Athènes dans les années qui suivirent la formation de la ligue de Délos, remporta une série de victoires, consolidant les positions de la ligue en mer Égée (victoire de l’Eurymédon en 468). Il inaugura aussi une politique qui transforma peu à peu la ligue de Délos en un véritable empire athénien : cette politique se caractérisait par des actions militaires contre tout allié qui tentait de sortir de la ligue (Naxos en 470, Thasos en 465) et par l’installation de garnisons de soldats athéniens sur le territoire des alliés récalcitrants. Pour assurer l’entretien de ces garnisons, les soldats recevaient des lots de terres (klêroi) pris sur les biens confisqués par Athènes ; d’où le nom de « clérouquies » donné à ces établissements, qui se multiplièrent au cours du siècle.

Prééminence d’Athènes au V e siècle

Tant que Cimon demeura à la tête de la cité, l’alliance entre Athènes et Sparte persista en dépit de heurts multiples. Mais après l’ostracisme de Cimon (461), les démocrates adversaires de Sparte dirigent la politique de la cité, avec Ephialtès d’abord, puis Périclès. À l’intérieur, ils parachèvent l’œuvre de Clisthène, le fondateur de la démocratie, en réduisant considérablement les pouvoirs de l’Aréopage, l’ancien conseil aristocratique, et en instituant la rétribution des fonctions publiques, la misthophorie. À l’extérieur, ils poursuivent la politique « impérialiste » de Cimon, annexant même de nouvelles zones d’influence : région de la mer Noire, d’où Athènes tire le blé nécessaire à l’alimentation de sa population ; Égypte (mais l’expédition entreprise en 454 se solde par un échec) ; Italie méridionale enfin, où une expédition panhellénique, mais à direction athénienne, fonde en 443 la colonie de Thourioi près du site de l’ancienne Sybaris.

Dans le même temps, le poids de la domination athénienne se fait sentir plus durement : les alliés ne sont pas consultés, le trésor de la ligue est transféré de Délos à Athènes, les interventions dans les affaires intérieures des cités membres de la ligue se multiplient (446 en Eubée, 441 à Samos), les alliés sont contraints d’adopter la monnaie et les poids et mesures athéniens, enfin de nouvelles colonies (ou clérouquies) sont installées en Eubée, en Asie Mineure, en Thrace, renforçant encore le dispositif de surveillance athénien. Certes, Athènes profite largement de cette puissance sans cesse accrue et l’on sait assez quel prestige demeure attaché au nom de Périclès ; que ce soit dans le domaine de la vie intellectuelle, artistique ou religieuse, Athènes occupe alors la première place. Elle est, pour reprendre l’expression que Thucydide prête à Périclès, devenue un modèle pour les autres cités.

Mais toutes ne témoignent pas du même enthousiasme à son égard. Ainsi Sparte n’a pas vu sans inquiétude se développer l’hégémonie athénienne en mer Égée. Plus que l’Égée, c’est le continent toutefois qui la préoccupe. Aussi la lutte ne tarde-t-elle pas à éclater entre les deux cités, quand Athènes prétend contrôler aussi une partie de la Grèce centrale et septentrionale. C’est ce qu’on a coutume d’appeler la première guerre du Péloponnèse, qui s’achève en 446 par la conclusion de la paix de Trente Ans. Cette paix n’allait durer en réalité qu’une quinzaine d’années, et quand les hostilités reprirent en 431, c’est la Grèce tout entière qui se trouva engagée dans le conflit .

La guerre du Péloponnèse

La guerre du Péloponnèse marque un tournant essentiel dans l’histoire des cités grecques. Elle débuta par une série de conflits locaux qui mirent aux prises Athéniens et Corinthiens. Mais le jeu des alliances entraîna bientôt toutes les cités dans la lutte. Athènes se trouvait dans une position de force, elle avait un puissant empire, une armée considérable, une flotte bien entraînée, des ressources financières abondantes. Périclès souhaitait une issue rapide et avait préconisé une tactique qui consistait à abandonner la défense du territoire, à rassembler toute la population à l’intérieur des murs de la ville et à remporter la victoire par une rapide action maritime. Mais les faits ne permirent pas la réalisation de ce projet. La résistance péloponnésienne fut plus forte que ne le prévoyait le grand stratège athénien. Par ailleurs, une épidémie de peste éclata à Athènes et se développa avec une rapidité d’autant plus foudroyante que la concentration de la population à l’intérieur des murs rendait difficile toute action contre l’extension du fléau. On s’installa donc dans la guerre, ce qui eut pour effet de détacher d’Athènes une partie de ses alliés, en même temps que le théâtre des opérations s’étendait à la Grèce septentrionale et aux côtes d’Asie Mineure. Aucune décision n’ayant pu intervenir, une paix fut conclue entre Athènes et Sparte en 421, à laquelle ne s’associèrent pas tous les belligérants. Cette paix, dictée par la lassitude générale, ne résolvait rien. La guerre n’allait pas tarder à reprendre, larvée d’abord, puis ouverte lorsque Athènes eut entrepris de mener une expédition en Sicile.

Quand en 429 Périclès mourut, une des dernières victimes de la peste, son crédit était déjà sérieusement entamé. L’homme qui, dans les années qui suivirent, dirigea la politique athénienne fut Cléon, un riche tanneur qui voulait à tout prix maintenir l’empire d’Athènes. Mais il mourut au siège d’Amphipolis, peu avant la conclusion de la paix de 421, et depuis lors deux hommes dominaient la vie politique, le riche Nicias, modéré, hostile à toute aventure, et Alcibiade, démocrate par tradition familiale, mais soucieux surtout de sa gloire. C’est lui qui fit décider par l’Assemblée l’expédition de Sicile. Le prétexte était de soutenir certaines cités de l’île (Segeste, Léontinoi) contre les ambitions syracusaines, et, pour ce faire, de prendre pied en Sicile où les Athéniens escomptaient de nombreux appuis, tant parmi les indigènes sicules hellénistes que parmi les Grecs. Mais cette entreprise commença mal. Alcibiade, impliqué dans une affaire de sacrilège, fut rappelé avant même d’avoir débarqué en Sicile et s’enfuit. Nicias, qui commandait également l’expédition à laquelle il était hostile, ne mena pas les opérations avec assez d’énergie, et, par ailleurs, les secours attendus lui firent défaut. Les Athéniens réussirent bien à débarquer dans l’île, mais ils échouèrent devant Syracuse, durent battre en retraite, puis se rendre à l’ennemi qui les massacra (413). Pour Athènes, l’expédition de Sicile constituait un grave échec.

Dans le même temps, Sparte reprenait la lutte, envoyait de l’aide aux Syracusains, cependant qu’un corps expéditionnaire spartiate s’établissait en Attique et occupait la forteresse de Décélie. De là, les Lacédémoniens pouvaient lancer des attaques sur le territoire athénien ; leur présence provoqua la fuite de vingt mille esclaves travaillant au Laurion, dont l’exploitation se trouva de ce fait pratiquement interrompue. À Athènes même, le mécontentement était si grand que les adversaires de la démocratie réussirent à se rendre maîtres de la cité. Ils entamèrent aussitôt des négociations avec Sparte. Mais l’opposition des marins et des soldats de la flotte athénienne cantonnée à Samos fit échouer le complot oligarchique. Les opérations reprirent en mer Égée, conduites du côté athénien par Alcibiade, rentré en grâce. Mais les quelques succès remportés par celui-ci restèrent sans lendemain. Sparte en effet, grâce aux subsides du roi des Perses et de ses satrapes, réussit à équiper une flotte qui, sous la conduite du navarque Lysandre, se rendit maîtresse de positions stratégiques importantes en mer Égée, et infligea à la flotte athénienne une grave défaite à Aigos-Potamos (405). Athènes, affamée, assiégée par la flotte de Lysandre, fut contrainte d’accepter en 404 la paix dictée par Sparte, une paix qui la privait de son empire, de la plus grande partie de sa flotte et des Longs Murs qui assuraient sa défense.

Le IV e siècle : crise de la cité

La guerre du Péloponnèse bouleversait donc l’équilibre qui s’était établi en Grèce dans les premières décennies du Ve siècle. Le monde grec au IVe siècle porte la marque des transformations qui s’opérèrent alors. Toutes ne furent pas immédiatement perceptibles, mais elles intervinrent à plus ou moins long terme et précipitèrent le déclin de la cité grecque. La guerre avait d’abord entraîné des pertes importantes, tant du point de vue humain qu’économique. Les campagnes étaient ravagées et le thème de la misère paysanne apparaît constamment dans la littérature du IVe siècle. Certes, les différentes parties de la Grèce ont été inégalement touchées. L’Attique a souffert assurément et, tout au long du siècle, les plaintes des pauvres vont s’amplifiant ; elles ne semblent pourtant jamais mettre en cause l’équilibre de la cité. Il n’en va pas de même ailleurs, et singulièrement dans le Péloponnèse où les luttes sociales atteignent une exceptionnelle gravité, tandis que réapparaissent les mots d’ordre révolutionnaires de partage des terres et d’abolition des dettes. Parfois à la faveur des troubles s’établit une tyrannie, qui n’a plus que de lointains rapports avec celle de l’époque archaïque. Le tyran est généralement un chef de mercenaires, qui se rend maître de la cité et y fait régner sa loi, tel Denys à Syracuse et Euphrôn à Sicyone. Le mercenariat constitue d’ailleurs l’une des plaies de la Grèce du IVe siècle. Il est la conséquence directe de la crise sociale qui jette sur les routes égéennes des masses de pauvres dépourvus de terre, pour qui le métier de la guerre est le seul moyen de subsister. Les gens privés de patrie par la misère, prêts à se louer au plus offrant, constituent une menace permanente pour les cités. En même temps, le recours de plus en plus fréquent aux armées de mercenaires, s’il favorise l’adoption d’une tactique plus souple à laquelle reste attaché le nom du stratège athénien Iphicrate, peut avoir au sein des cités les plus stables de graves conséquences. L’exemple athénien, qui est le mieux connu, est à cet égard significatif. Les stratèges athéniens, qui au Ve siècle étaient les magistrats suprêmes de la cité, tendent à devenir des professionnels de la guerre, laissant à d’autres le soin de diriger les affaires intérieures, tandis qu’eux-mêmes mènent à l’extérieur une politique qui n’est pas toujours exempte de préoccupations personnelles.

Ces traits nouveaux s’affirment surtout dans la seconde moitié du IVe siècle, annonciateurs de l’époque hellénistique. Les premières décennies du siècle semblent, en effet, malgré la coupure de la guerre, prolonger le siècle précédent. La défaite d’Athènes a été sans lendemain, de même que le gouvernement oligarchique que les amis de Sparte avaient instauré à l’issue du conflit ; la démocratie restaurée à partir de 378, Athènes semble prête à retrouver l’hégémonie en Grèce. D’autant plus que Sparte, son ancien adversaire, n’a pas réussi malgré sa victoire à surmonter une crise intérieure sur laquelle on est mal renseigné, mais qui ruine inexorablement l’antique système égalitaire spartiate et annonce les révolutions du IIIe siècle. L’un des aspects de cette crise, le plus apparent, est ce que les Anciens appelaient l’« oliganthropie », le manque d’hommes qui se traduit par un déclin de la puissance militaire spartiate. La défaite infligée à Leuctres, en 371, à l’armée lacédémonienne par le général thébain Épaminondas marque le début de la ruine de Sparte, qui perd peu à peu ses positions dans le Péloponnèse et doit renoncer à toute grande politique extérieure.

Mais, si le déclin de Sparte favorise le renouveau de la puissance d’Athènes, celle-ci doit compter avec les prétentions thébaines en Grèce centrale et dans le Péloponnèse. Il lui faut aussi, si elle veut maintenir ses positions dans l’Égée et assurer le paiement des armées de mercenaires qu’elle emploie de plus en plus, revenir aux pratiques qui, au Ve siècle, lui avaient aliéné la majeure partie du monde grec et qu’elle avait solennellement condamnées dans le pacte de 378. Il en résulte la guerre des alliés, qui éclate en 357 et ouvre une nouvelle période dans l’histoire des cités grecques. Aucune de celles-ci désormais ne peut plus prétendre à l’hégémonie car, comme le remarque le rhéteur athénien Isocrate, la misère les a mises toutes sur le même plan .

 Grèce antique, IVe s. La division des cités grecques et la menace de la conquête macédonienne (359-336 avant J.C.). C’est donc en ordre dispersé qu’elles vont affronter le nouveau danger qui depuis 359 menace la liberté grecque : Philippe, le roi des Macédoniens. Celui-ci, devenu le maître d’un royaume puissant situé aux marges du monde grec, a entrepris une dure mais lente progression, à la fois vers l’est, c’est-à-dire vers la Thrace où depuis la fin du VIe siècle Athènes a des intérêts puissants, et vers le sud, vers la Thessalie dont la possession lui permet de contrôler toutes les voies d’accès vers la Grèce. Les Grecs d’abord ne virent pas, ou feignirent de ne pas voir, le danger. À Athènes, les défaites subies du fait des alliés avaient amené à la tête de la cité un groupe d’hommes qui, derrière le financier Eubule, préconisaient une politique de paix, seule capable de rendre à la cité son équilibre et de restaurer ses finances gravement compromises par des guerres continuelles. L’orateur Démosthène se heurtait à l’indifférence générale lorsqu’il dénonçait le danger macédonien. Ailleurs, Philippe trouvait des complaisances, des gens prêts à le défendre, voire à l’aider, grâce peut-être à des largesses intéressées. Toutefois, après qu’en 346, il eut réussi à entrer au conseil amphictyonique qui administrait le sanctuaire de Delphes, devenant ainsi l’arbitre du monde grec, les exhortations de Démosthène parurent rencontrer un accueil plus favorable. Il réussit à constituer une coalition qui rassemblait autour d’Athènes une partie des cités péloponnésiennes et Thèbes, l’irréductible adversaire, avec pour mission de s’opposer à l’avance de Philippe en Grèce centrale. Un effort militaire exceptionnel fut alors entrepris, mais en vain. Philippe, vainqueur en 338 à Chéronée, en Béotie, pouvait désormais dicter sa loi au monde grec.

De fait, peu après la conclusion de la paix avec Athènes, il convoqua à Corinthe un congrès de toutes les cités grecques. Un pacte d’alliance fut conclu, la ligue de Corinthe : elle réunissait autour de Philippe, devenu son « hégémon », la plupart des cités et des peuples de la Grèce, le but de cette alliance étant d’amener contre le roi des Perses une guerre de vengeance et de conquête. Philippe mourut en 336, avant que son projet eût reçu un commencement d’exécution. Mais son fils Alexandre devait le reprendre et lui donner les dimensions que l’on sait.

Alexandre et l’époque hellénistique

La Grèce ne fut que très partiellement associée à l’épopée du conquérant macédonien, bien que le pacte de Corinthe ait été renouvelé à l’avènement du jeune prince. Celui-ci avait dû mater durement avant son départ un soulèvement dont Thèbes avait pris l’initiative. Il prit soin de laisser en Grèce des troupes prêtes à intervenir en cas de nouveaux troubles, ce qui explique la relative passivité des Grecs pendant l’absence de celui qui était devenu le maître de leurs destinées. Il y eut bien en 331 un début d’agitation dont l’initiative revint au roi de Sparte, Agis. Mais celui-ci n’obtint pas les appuis qu’il escomptait et sa tentative se solda par un échec. Athènes, pourtant dirigée alors par de farouches adversaires de la Macédoine, tels Démosthène, Hypéride ou Lycurgue, ne fit rien pour contrarier l’action du Macédonien, même lorsque le trésorier de celui-ci, Harpale, se fut réfugié chez elle avec de l’argent qu’il était prêt à mettre à la disposition des ennemis de son roi. Seule l’annonce de la mort du conquérant provoqua un ultime sursaut, celui qui est connu sous le nom de guerre lamiaque (322) ; il se solda par un échec et, pour la première fois, une garnison macédonienne fut installée au Pirée, cependant que le général macédonien Antipatros imposait une réforme de la Constitution qui, privant plus de la moitié des citoyens de l’exercice des droits civiques, détruisait en réalité la démocratie qui avait fait pendant près de deux siècles la grandeur d’Athènes.

La fin de la démocratie athénienne signifiait aussi la fin du monde des cités grecques. Désormais en effet, celles-ci se trouvent prises dans les luttes qui opposent entre eux les successeurs d’Alexandre et, si elles peuvent avoir parfois l’illusion de la liberté retrouvée, c’est généralement au prix d’alliances chèrement payées : ainsi lorsqu’à Athènes la démocratie est restaurée par Démétrios Poliorcète en 307, les honneurs divins qui furent rendus au brillant stratège macédonien et à son père Antigonos indiquent combien illusoire était cette restauration. Après 280, l’empire d’Alexandre se trouva définitivement partagé entre les Lagides (Égypte), les Séleucides (Asie) et les Antigonides (Macédoine) ; la Grèce devint alors l’enjeu des rivalités qui opposaient les souverains macédoniens entre eux, et singulièrement les Lagides et les Antigonides, tandis que les Séleucides dominaient plus ou moins directement les cités grecques d’Asie, et que, de son côté, la Grèce d’Occident passait dans l’orbite de Rome (prise de Tarente en 272).

Cependant, au cours du siècle qui précède la conquête romaine, la Grèce n’a cessé de s’appauvrir. Athènes vit de plus en plus repliée sur elle-même, depuis que le Pirée a cessé d’être le principal marché égéen ; le Péloponnèse surtout est secoué de fréquents sursauts révolutionnaires qui témoignent de la gravité de la situation. À Sparte, la volonté réformatrice des rois Agis IV et Cléomène III se heurte à de violentes résistances, et la crainte que la révolution préconisée par Cléomène se répande et soulève les masses appauvries amène les cités réunies au sein de la puissante ligne achéenne à solliciter l’intervention du roi de Macédoine, Antigonos Dôsôn ; ce dernier, vainqueur de Cléomène à Sellasie en 222, rétablit l’ordre dans le Péloponnèse. Mais lorsque, quelques années plus tard, Sparte de nouveau apparaît comme une menace pour l’ordre social, c’est à Rome que la « bourgeoisie » achéenne fait appel.

Depuis la fin du IIIe siècle, Rome s’intéresse à l’Orient et plus particulièrement à cette Macédoine dont le roi Philippe II a été l’allié d’Hannibal. Pour l’affaiblir, elle n’hésite pas à s’engager dans l’inextricable jeu de la politique grecque. À l’aube du IIe siècle, il n’existe en Grèce que deux puissances qui comptent : la ligue étolienne au nord-ouest et la ligue achéenne qui rassemble, à l’exclusion de Sparte, les principales cités pélo-ponnésiennes. Les cités en effet, on l’a vu précédemment, sont toutes affaiblies, et seuls désormais ont pouvoir de parler aux rois d’égal à égal ces koina qui rassemblent des cités de faible importance, mais dont la cohésion interne fait la force. Or, depuis 222, les Achéens sont alliés au roi de Macédoine. C’est donc vers les Étoliens que Rome se tourne d’abord ; c’est à eux qu’elle apporte un appui intéressé qui lui permet de prendre pied en Grèce, d’y proclamer par la bouche du consul Flamininus la liberté des Grecs (196), mais une liberté au sens romain du terme, qui suppose d’abord le maintien de l’ordre.

Ainsi s’achevait une histoire qui avait duré plusieurs siècles et qui devait laisser au monde un héritage immense.

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