Migrations et peuplement

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Premiers établissements et civilisation mycénienne

Dans ce pays si peu fait pour retenir l’homme, les premiers établissements humains apparaissent dès le Ve millénaire, parsemés et peu importants, mais qui témoignent qu’au Néolithique la Grèce était déjà habitée. Puis, vers la fin du IVe millénaire, de nouveaux arrivants s’installent dans le pays, atteignant des régions non encore habitées. On pense qu’ils étaient originaires d’Anatolie. La Grèce entre alors dans l’âge du bronze, et c’est à la fin de l’époque dite du bronze ancien, vers le début du IIe millénaire, qu’arrivent de nouveaux envahisseurs en qui on s’accorde à reconnaître les premiers Grecs, des Indo-Européens venus du nord. Ils n’apportèrent pas d’abord de notables modifications dans la vie des populations balkaniques. La plupart des termes qui, dans la langue grecque classique, désignent les cultures traditionnelles (blé, vigne, olives) sont des vocables d’origine anatolienne. On peut donc supposer que les premiers Grecs empruntèrent aux occupants primitifs ces termes et les techniques qu’ils recouvraient. Les Grecs apportèrent cependant avec eux deux nouveautés : le cheval et une céramique raffinée dite minyenne.

Pendant les premiers siècles du IIe millénaire, la Grèce semble vivre repliée sur elle-même, sans contact avec le monde extérieur. Les choses changent brusquement à partir de 1580 environ. Faut-il y voir un rapport avec l’arrivée d’une nouvelle vague d’envahisseurs grecs ? Les avis sur ce point divergent. Mais les archéologues constatent alors le développement d’une civilisation brillante, très proche de la civilisation crétoise et qu’on appelle la civilisation mycénienne , du nom d’un de ses centres les plus importants, l’acropole de Mycènes au nord-est du Péloponnèse. Personne aujourd’hui ne songerait à reprendre l’hypothèse de sir John Evans d’une conquête par la Crète du continent hellénique. Tout au plus pense-t-on à des relations (militaires, commerciales ?) avec la grande île. Les fouilles menées systématiquement sur les sites mycéniens, le déchiffrement des tablettes en linéaire B trouvées dans les ruines de Pylos permettent de se faire une idée un peu plus précise de ce monde mycénien, bien que de nombreux problèmes demeurent insolubles.

Le monde mycénien forme un tout et pourtant chaque centre paraît avoir eu une existence indépendante. Ce qui frappe lorsqu’on tente d’analyser la nature et les caractères du monde mycénien, ce n’est pas tant la richesse de ses princes, dont le souvenir s’est conservé jusqu’à l’élaboration des poèmes homériques, que l’organisation palatiale très poussée, devinée à la lecture des tablettes et qui n’est pas sans évoquer celle des grandes cités mésopotamiennes. Quelle était la puissance exacte des princes qui régnaient sur ces États ? Il est presque impossible de le dire, de même qu’on ne peut savoir s’il existait entre eux des liens de dépendance qui auraient permis aux Achéens d’entreprendre les vastes expéditions que supposent la conquête de la Crète et, si elle eut lieu, la guerre de Troie. La connaissance que nous avons de ces faits est très vague ; une épopée ne peut être tenue pour un récit historique, et la guerre de Troie n’a peut-être été qu’une expédition de pirates. Quant aux Achéens qui figurent sur les documents hittites, on pense qu’ils venaient de Rhodes ou de Pamphylie, et non du Péloponnèse. Enfin, les tablettes de Pylos sont d’époque assez tardive, et il est peut-être abusif de généraliser à partir d’un exemple unique.

Quoi qu’il en soit, la civilisation mycénienne se développa pendant plus de trois siècles, tant dans le Péloponnèse qu’en Béotie et en Attique, et, si l’on ne peut parler d’un empire achéen sans fausser la réalité, des traces de cette civilisation se trouvent tant en Asie Mineure qu’en Occident ; le fait même que ces Achéens aient eu une écriture, mise au service d’une administration très complexe, révèle combien leur société et leur organisation étaient différentes de la société militaire primitive des poèmes homériques, et leur civilisation à la fois riche et complexe.

Les Doriens

On est surpris de voir subitement disparaître la civilisation mycénienne vers la fin duXIIe siècle. Et l’on est tenté de considérer cette disparition, qui semble avoir été brutale, comme liée à l’arrivée de nouveaux envahisseurs grecs qu’on a coutume de désigner sous le nom de Doriens. Là encore, on se heurte dans l’interprétation des faits eux-mêmes à de grandes difficultés, et la prudence s’impose quand on aborde les problèmes de chronologie. En effet, si certains sites mycéniens disparaissent dès le début duXIIe siècle, d’autres comme Mycènes subsistent encore presque un siècle, ce qui laisse supposer que les nouveaux envahisseurs apparurent par poussées successives et se heurtèrent çà et là à une vigoureuse résistance.

Sur la civilisation qu’ils apportaient, beaucoup d’hypothèses ont été émises qui ne reposent pas toujours sur des certitudes. C’est ainsi qu’on leur attribue deux importantes nouveautés dans le domaine de la civilisation matérielle : l’invention de la métallurgie du fer et la céramique géométrique. Mais, s’il est incontestable que l’une et l’autre font leur apparition en même temps que les Doriens, il n’est nullement prouvé que les deux séries de faits soient liées : le travail du fer semble en effet avoir été d’abord connu en Asie Mineure, d’où il se serait introduit en Grèce par l’intermédiaire de la Crète ; pour ce qui est de la céramique géométrique, c’est en Attique et à Chypre qu’elle a connu son développement le plus brillant, c’est-à-dire dans des régions où les Doriens n’avaient pas réussi à s’installer. Quant à leur organisation sociale, elle reste très obscure. Une seule chose est certaine : à la différence des Ioniens répartis en quatre tribus, les Doriens se partageaient en trois tribus, et cette différence subsiste jusqu’à une époque assez tardive dans le monde grec classique. Pour le reste, on devine une société guerrière, dominée par des chefs militaires, assez sensiblement différente de ce qu’était la société mycénienne. S’agit-il ici cependant, comme se plaisaient à le dire les auteurs anciens, d’un trait typiquement dorien qui se retrouve partiellement dans la Sparte de l’époque classique, la cité dorienne par excellence, ou bien est-ce là le propre d’une société à un stade encore primitif de son développement ? Problème délicat à résoudre, car une telle société se retrouve entre le XIe et le VIIIe siècle à Athènes et même, comme l’a montré l’historien M. I. Finley, dans le monde de L’Iliade et de L’Odyssée, c’est-à-dire dans le monde ionien et achéen.

La période qui commence à l’aube du XIe siècle, appelée « géométrique » par les archéologues, apparaît de toute façon comme une période obscure, au cours de laquelle s’élaborent les transformations qui donnent au monde des cités grecques sa physionomie définitive. La poussée dorienne a déclenché un vaste mouvement de migration, qui aboutit à l’occupation par des Grecs des côtes occidentales de l’Asie Mineure (Éolide, Ionie, Doride), ainsi qu’au peuplement des îles de la mer Égée (Cyclades et Sporades). Cette occupation eut une très grande importance, car elle mettait les Grecs en contact avec les civilisations orientales. Il en naquit de profondes transformations dans le domaine de la civilisation matérielle et de la culture. Non seulement des systèmes d’échange apparurent, mais aussi des influences religieuses et artistiques se firent sentir, tandis que les Grecs empruntaient aux Phéniciens l’alphabet qui allait devenir le support de leur langue.

La période géométrique est surtout marquée par de profondes transformations sociales qui débouchèrent sur un type nouveau d’État, caractéristique de la civilisation grecque de l’époque classique : la cité. Celle-ci se définit comme une forme politique originale qui repose sur l’existence d’une communauté de citoyens. Cette cité, qui apparaît constituée à l’aube du VIIIe siècle, devient désormais le centre de toutes les décisions concernant la communauté civique. Malheureusement, si l’histoire du monde grec se confond avec celle des cités elles-mêmes, il n’est pas toujours aisé de suivre le développement propre de chacune d’entre elles. Seule l’histoire des plus grandes – Sparte, Corinthe, Athènes – peut être assez fidèlement reconstituée.

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