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Si l’aventure des Grandes Découvertes a pu être tentée, c’est que des progrès sensibles avaient été accomplis dans les domaines de la connaissance de la Terre, d’une part, et de la navigation, d’autre part. En effet, les Européens du Moyen Âge étaient restés, au moins jusqu’au XIIIe siècle, largement plus ignorants que ne l’avaient été les anciens Grecs en matière de géographie et d’astronomie. Ces derniers admettaient notamment, depuis Ératosthène (IIIe siècle av. J C), qui avait effectué avec une remarquable précision la mesure de la circonférence équatoriale, que la Terre est ronde; pour les Européens médiévaux, dont le champ des connaissances s’est considérablement rétréci depuis les grandes invasions, cette idée même paraît inconcevable, car elle signifierait que les hommes qui habitent du côté opposé du globe marchent la tête en bas. La Terre est alors représentée comme un grand carré ou un disque plat où l’Océan, élément inquiétant et mystérieux, s’étend jusqu’aux murs qui sont supposés clôturer l’Univers et supporter la voûte céleste.

L’horizon européen

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Les États moscovite et lituanien au milieu du XVe siècle Le monde connu des Européens – l’écoumène, ou œkoumène – se résume au Bassin méditerranéen, cest à dire à l’Afrique du Nord, à l’Arabie, au Moyen Orient, et à l’Europe jusqu’à la Scandinavie et à la Moscovie. Les frontières qui cernent ces terres connues sont réputées infranchissables: au nord, pense-t-on, froid et glaces empêchent tout passage; au sud, en revanche, la chaleur ferait entrer en ébullition les flots et le sang humain, et exclurait donc toute vie. Les mythes et croyances répandus sur ces mondes inconnus se reflètent dans les cartes établies au Moyen Âge, qui ne sont pas l’œuvre de géographes mais de théologiens: elles représentent un monde plat et circulaire dont le centre est le plus souvent Jérusalem, parfois Rome; autour de ce point de référence sont disposées l’Europe, l’Asie et l’Afrique, que prolongent des représentations du paradis terrestre ou d’autres lieux cités dans la Bible.

L’héritage antique

Les Arabes en revanche, restés au contact du savoir des anciens Grecs, ont développé leurs connaissances astronomiques et géographiques au long du Moyen Âge. Grands commerçants, grands voyageurs – tel le Marocain Ibn Battuta qui, au XIVe siècle, parcourt l’Afghanistan, l’Inde, et rejoint par la mer Sumatra puis la Chine –, ils ont établi des liens avec l’Extrême Orient asiatique, d’où ils acheminent la soie et les épices très recherchées par les riches Européens. Ils commercent avec les Républiques de Gênes et de Venise, par lesquelles, à partir du XIIIe siècle, se diffuse peu à peu en Europe le savoir retrouvé des Anciens.

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À la fin du XIIIe siècle, le Vénitien Marco Polo fait imprimer le Livre des merveilles, où il décrit son voyage en Extrême Orient. L’Europe ébahie y lit, sans y croire, des descriptions de villes aux richesses éclatantes, où l’on compte par milliers les sacs d’or, où circulent des charrettes chargées de soie. D’autres livres, souvent pris plus au sérieux que celui de Polo, sont le produit d’une imagination débridée. Les Voyages d’outremer (vers 1356) de sir Jean de Mandeville en sont un bon exemple: ses histoires d’hommes sans tête, dont les yeux et la bouche sont situés au niveau des épaules, ses descriptions d’animaux fantastiques connaissent un grand succès.

Ptolémée redécouvert

Vers 1406 est traduit en latin – langue des Européens lettrés – un ouvrage capital, la Géographie de Ptolémée, que l’astronome et géographe grec avait écrit au IIe siècle apr. J C et qui, par sa large diffusion dans la seconde moitié du XVe siècle (plusieurs éditions sont imprimées à Vicence, Bologne, Rome, Ulm), provoque une véritable révolution des connaissances. Ce traité, qui part du principe de la sphéricité de la Terre, explique comment construire des cartes par des méthodes de projection et présente un atlas de vingt sept cartes, dont une mappemonde; il donne le dessin précis des littoraux connus, et des coordonnées pratiques pour les navigateurs.

Cependant, Ptolémée ayant reproduit une ancienne erreur de calcul concernant la circonférence de la Terre (réduite d’environ 10 000 km), les Européens de la fin du XVe siècle, qui admettent qu’un même océan enveloppe l’Europe, l’Asie et l’Afrique, en concluent que l’Asie s’étend très loin à l’est et situent le Japon (appelé Cipango à l’époque) à l’endroit où se trouve en fait la Californie: d’où l’idée qu’en naviguant droit vers l’ouest on devait rencontrer assez rapidement les côtes extrême orientales de l’Asie.

Des progrès techniques

Chronologie (vers 1300) Parallèlement à la redécouverte des connaissances de l’Antiquité, l’art de la navigation et la construction navale font de grands progrès. Depuis longtemps utilisée en Orient, l’aiguille aimantée indiquant le pôle magnétique est introduite en Europe par les Arabes. Vers l’an 1300, les Italiens en perfectionnent le dispositif et mettent au point la boussole, instrument pratique et précis qui autorise la navigation en haute mer. Au XVe siècle, l’astrolabe portugais est l’adaptation d’un ancien appareil servant à mesurer l’angle formé par un objet céleste relativement à l’horizontale. Il suffit de pointer l’aiguille de l’astrolabe vers l’étoile Polaire pour lire sa hauteur en degrés, et ensuite, grâce à une série de tables astronomiques, de calculer précisément la position en latitude, selon l’heure et le jour, de l’observateur placé sur un bateau qui se trouve dans des eaux inconnues – plus tard on apprendra à faire ces calculs en prenant comme repère le Soleil. Enfin la mise au point du gouvernail d’étambot, qui pivote sur des charnières fixes à la poupe du navire, rend la navigation plus sûre et plus performante.

La caravelle

Mais tous ces instruments n’auraient pas suffi à braver l’océan si l’on n’avait complètement renouvelé la conception des navires. En effet, les galères, manœuvrées à la rame, sont effilées et rapides, mais trop basses sur l’eau (elles en dépassaient le niveau d’à peine 150 m) pour affronter les lames de l’Atlantique. Les nefs, malgré de plus hauts bords, sont lourdes et lentes à cause de leur mât unique et de leur seule voile. C’est alors qu’au Portugal des constructeurs mettent au point un type de bateau qui va révolutionner la navigation hauturière et qui sera adopté par tous les grands explorateurs: la caravelle. Celle-ci allie deux éléments traditionnels: le gréement carré du nord de l’Europe, idoine pour de longs parcours par vent arrière, et la voile triangulaire du gréement latin, conçue par les Arabes pour tirer des bords, quelle que soit la direction du vent. Nef allégée, pourvue de trois mâts et de cinq voiles, longue de 30 m au plus, très maniable, elle file plus de 5 nœuds (10 km/h) et peut, grâce à son bordé très haut, naviguer en plein océan. Elle présente néanmoins des inconvénients: il faut un équipage de près de 25 hommes pour manœuvrer les immenses vergues qui portent les voiles; en outre, ses ponts découverts ne protègent ni les équipages ni les provisions. Après un demi siècle d’utilisation, les caravelles seront remplacées par des navires plus grands et plus spacieux, mieux adaptés à de longues traversées.

Le réveil démographique de l’Europe Jusqu’au début du XVe siècle, l’Europe est ravagée par les guerres, les grandes épidémies, les famines. La peste noire notamment, qui culmine en 1348, décime la population, des pays méditerranéens au nord du continent (on estime qu’un tiers, au moins, des Européens sont alors anéantis). Le fléau interrompt et désorganise toutes les activités. Cependant, à partir du milieu du XVe siècle, la population de l’Europe augmente.

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