Les conquêtes portugaises

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Bien avant le XVe siècle, des marins s’étaient aventurés dans l’Atlantique. Vers l’an 1000, des Scandinaves avaient atteint la côte est de l’Amérique du Nord, mais le souvenir de leur découverte n’avait été conservé que dans des légendes populaires. Au début du XIVe siècle, des marins génois avaient découvert, près des côtes d’Afrique, les Açores, Madère et les Canaries. Entre 1402 et 1405, les îles Canaries ont même été conquises et érigées en royaume par un Normand, Jean de Béthencourt. Mais, ces découvertes oubliées, les Portugais et les Espagnols apparaissent ensuite comme les grands acteurs de l’exploration du monde.

La géographie et l’histoire contribuent à les engager sur les routes océaniques: la péninsule Ibérique se trouve à l’extrémité sud ouest de l’Europe, face à l’Océan et aux côtes africaines; or la Reconquête s’achève. L’ardeur guerrière et religieuse des Portugais et des Espagnols ne demande qu’à s’exprimer dans de nouvelles entreprises: les grands voyages de découverte constituent d’une certaine manière la suite naturelle des croisades menées par les chrétiens contre les musulmans qui détenaient les lieux saints de Jérusalem.

Le rôle moteur du Portugal

Le Portugal se lance le premier dans l’aventure. Ce petit pays peuplé de moins d’un million d’habitants – pour la plupart des paysans pauvres – dispose néanmoins de quelques atouts économiques: il pratique le commerce du vin, de l’huile d’olive et des fruits secs avec les pays de l’Europe du Nord, loin de la concurrence italienne. L’esprit d’aventure, le braggadocio portugais, anime ces navigateurs, citoyens d’une nation fière, indépendante depuis peu. En effet, si la naissance de l’État portugais remonte à 1140 – quand le chrétien Alphonse Ier le Conquérant fut proclamé roi après une victoire sur les Arabes, qui dominaient alors toute la péninsule Ibérique –, les limites du royaume n’ont été fixées qu’en 1249, et la menace hégémonique du puissant royaume chrétien de Castille n’a été levée qu’avec la victoire décisive d’Aljubarrota, en 1385, qui confirma l’indépendance du Portugal, même si des heurts se produisirent encore pendant plusieurs années. Dès lors, le peuple portugais, mû par une grande ferveur patriotique et religieuse, dirige son énergie vers l’extérieur, vers les territoires musulmans de l’Afrique du Nord et le monde inconnu qui s’étend au delà.

Le temps d’Henri le Navigateur

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Entre 1419 et 1460, date de sa mort, c’est le prince Henri, cinquième fils du roi Jean Ier, qui finance et conseille les explorateurs, permettant aux ambitions portugaises de s’exprimer. Il décide de consacrer tous ses efforts à l’exploration des côtes de l’Afrique au sud du Maroc, pour aller aux sources de l’or soudanais et à la découverte du royaume du Prêtre Jean. Il semble aussi que l’une des raisons qui poussent Henri à financer de pareilles aventures est la prédiction de son astrologue, qui le dit appelé à découvrir des choses restées cachées aux autres hommes.

La personnalité du prince Henri est complexe. Malgré son surnom de «Navigateur», il n’a jamais participé à une expédition. Sa vie personnelle est ascétique; il ne s’est jamais marié. En signe de dévotion et par mortification, il porte en permanence sous ses habits princiers un cilice, une chemise en crin. Son physique, sévère, dénote un tempérament renfermé, plus porté à donner des ordres qu’à galvaniser les hommes. Dans l’hostilité qu’il développe envers les puissances musulmanes, il montre une énergie de croisé plus typique du XIIe siècle que de son époque.

Une démarche rigoureuse

Dès 1415, alors qu’il n’a que vingt ans, le prince Henri s’établit à Sagres, près du cap Saint Vincent, la pointe la plus méridionale du Portugal. Là, il crée peu à peu autour de sa résidence une véritable école de navigation, d’astronomie et de géographie. Il constitue une bibliothèque qui réunit livres et cartes propres à donner le plus de renseignements géographiques possible. Grâce à ces compilations et à ces recherches, les explorations portugaises auront un caractère scientifique et méthodique original. À partir de 1416, chaque année, une expédition nouvelle est montée. Elle ne part pas sans être informée des résultats de la précédente, ni sans être chargée de dépasser les limites atteintes avant elle.

En 1433, après avoir envoyé des navires en éclaireurs à Madère et aux îles Canaries, connues des marins depuis quelques générations déjà, le prince Henri donne mission au bateau commandé par le capitaine Gil Eanes de doubler le cap Bojador, péninsule africaine située à 300 km au sud des Canaries et qui représente la limite du monde connu dans la direction de l’équateur. Eanes revient sans avoir doublé le cap réputé infranchissable. Henri n’accepte pas cet échec et le renvoie avec la même mission. Eanes rentre, triomphant, l’année suivante. La route des explorateurs est ouverte. Poussés par Henri, les capitaines rivalisent d’audace pour s’aventurer toujours plus loin le long du littoral de l’Afrique de l’Ouest.

Bois d’ébène et esclavage

Les succès commerciaux sont presque immédiats. La première cargaison rapportée d’Afrique est un lot de peaux de loups de mer et de phoques. En 1438, deux navires reviennent au Portugal avec une cargaison humaine; pour le prince Henri, les Africains sont une curiosité dont il va essayer d’obtenir le plus d’informations possible; mais d’autres voient déjà l’intérêt de les réduire en esclavage. En 1448, les Portugais établissent un fort sur une île de la baie d’Arguin, à 750 km au sud du cap Bojador, et bientôt 200 prisonniers noirs sont amenés à Lisbonne pour y être vendus aux enchères publiques. Ainsi débute le commerce des esclaves africains – approuvé par le pape en 1454 –, que les Portugais commencent à faire travailler dans des plantations de canne à sucre, à Madère.

Des descendants ambitieux

L’œuvre d’Henri, mort en 1460, est poursuivie par son neveu Alphonse V – dit «l’Africain» –, qui règne sur le Portugal de 1438 à 1481. Aussi ambitieux que son oncle, ce dernier est plus avisé sur les avantages économiques à retirer des explorations. En 1469, il concède des licences d’exploitation et de commerce pour l’Afrique à Fernão Gomes, à la condition que ses marins explorent 600 km de côtes par an pendant les cinq années à venir. Ainsi 3 000 km de littoral sont-ils découverts; Gomes dépasse l’embouchure du Niger. La route des Indes semble ouverte! Pendant cette période d’ambitieuses expéditions maritimes, Alphonse V effectue des incursions plus directes sur le continent africain. Il mène plusieurs campagnes contre les souverains musulmans du Maroc, remporte la victoire d’Arzila et, en 1471, prend Tanger.

En 1481, Jean II, fils d’Alphonse V, monte sur le trône. Au cours des années suivantes, les expéditions atteignent les côtes arides de l’Angola et de la Namibie. À chaque étape, le Portugal affirme ses droits territoriaux en plantant sur les caps des terres nouvellement découvertes de grandes colonnes de calcaire de quelque 2 m de haut: ce sont les padrães («patrons»).

À la recherche du cap des Tempêtes Chronologie (1487)

Cependant, la pointe sud de l’Afrique reste à découvrir. Bartolomeu Dias, qui part de Lisbonne en 1487 avec deux caravelles remplies de vivres et d’eau douce, est chargé de pousser aussi loin que nécessaire pour reconnaître le point le plus méridional du continent africain. Au bout de trois mois, il atteint la baie d’Angra das Aldeias, sur le littoral de l’actuel Angola, puis il quitte les terres connues. Pendant plus d’un mois, ses bateaux avancent lentement vers le sud le long des côtes, rencontrant des vents contraires de plus en plus forts. Dias prend alors la décision de faire voile vers l’ouest, de s’éloigner de la terre, dans l’espoir de trouver de meilleures conditions de navigation. Son attente est récompensée: des vents se lèvent et, pendant deux semaines, poussent ses navires vers le sud. Lorsque Dias décide de se diriger plein est pour rejoindre la côte, il ne la trouve pas, et doit repartir vers le nord. C’est alors qu’il aperçoit la terre: il a déjà doublé, sans la voir, la pointe la plus méridionale de l’Afrique et poursuit son exploration pendant plus d’un mois, abordant en plusieurs points de la côte orientale malgré les plaintes de son équipage. Il plante son padrão dans la baie d’Algoa, à proximité de l’actuel Port Elizabeth, et finit par accepter de faire demi tour, non sans remarquer que le courant qui entraîne ses navires le long des côtes est un courant tropical venant du nord est – preuve qu’il a bien dépassé l’extrémité sud de l’Afrique.

Pendant le voyage de retour, Dias et ses hommes repèrent un «grand et noble cap» aux rochers de granite surplombés par une montagne. Il y plante un second padrão pour marquer ce qu’il pense être la pointe sud de l’Afrique et baptise sa découverte «cap des Tempêtes» – nom que le roi Jean II changera en 1488 pour celui de «cap de Bonne Espérance». En fait, Dias a manqué le point le plus méridional du continent, le cap des Aiguilles, qui se trouve à quelque 200 km au sud est. Rentrant au Portugal à la fin de l’année 1488, après un voyage de seize mois, il est accueilli triomphalement, et reçoit le titre et les pouvoirs d’«amiral de la mer des Indes». La route maritime des Indes est en effet vraiment ouverte.

De Bonne Espérance à Macao

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En 1497, Manuel Ier, successeur de Jean II, soutient une expédition ambitieuse, préparée par Bartolomeu Dias, qui va détruire le monopole arabe du commerce dans l’océan Indien. Quatre bateaux sont armés: une petite caravelle de 50 t à gréement latin, destinée à la navigation côtière de reconnaissance; un ravitailleur de 300 t, transportant des vivres suffisants pour tenir trois ans et une cargaison d’objets et de colifichets, qui ont déjà servi de produits d’échange en Afrique (coton, huile d’olive, corail, perles, chapeaux, bols de cuivre et clochettes); enfin deux nãos, trois mâts à gréement carré, équipés de dix canons chacun, véritables navires de guerre.

Vasco de Gama, le précurseur

les conquetes portugaises

Vasco de Gama est choisi pour diriger le voyage. Âgé de trente sept ans, il a un physique imposant et un caractère peu facile. Mais il a la réputation d’être juste, honnête et pieux. En outre, ses connaissances en astronomie et son expérience de la navigation sont solides. Le 8 juillet 1497, le clergé bénit le départ. Après avoir doublé le cap de Bonne Espérance à la fin novembre, Gama explore pendant cinq mois les côtes sud orientales de l’Afrique. Poursuivant sa route, il arrive aux frontières du monde musulman, sur le littoral de l’actuel Mozambique.

Les périls du voyage

Au nord de cette zone, plusieurs cités États gouvernées chacune par un sultan, telles Mombasa, Mélinde ou Zanzibar, prospèrent grâce au commerce avec l’Inde. Les Portugais se heurtent à leur hostilité, mais ils obtiennent du sultan de Mélinde (aujourdhui Malindi, sur la côte kenyane) le prêt d’un navigateur expérimenté, Ahmed ibn Madjid, qui les conduit vers l’est à travers l’océan Indien, en direction de l’Inde. Grâce à lui, la traversée est effectuée en moins d’un mois. La flotte de Gama jette l’ancre au large des longues plages de Calicut, bordées de palmiers, à la mi mai 1498. Mais le séjour ne répond pas aux attentes: les produits apportés par les Européens n’intéressent pas les autochtones, et c’est avec les plus grandes difficultés que les Portugais réussissent à repartir avec une petite cargaison composée de clous de girofle, d’un peu de cannelle et d’une poignée de pierres précieuses.

Le retour est particulièrement pénible. Sans guide – celui-ci a disparu –, les marins doivent affronter des vents contraires pendant trois mois. Les vivres manquent, la nourriture est avariée, la vermine s’installe. L’équipage survit grâce à du poisson frais, du porc salé, pourri, et des biscuits pleins de charançons; le scorbut fait périr plusieurs dizaines de marins. Lorsque les bateaux regagnent Lisbonne, à la fin de l’été 1499, il ne reste plus que 54 hommes sur les 170 qui avaient embarqué deux ans auparavant. Ils sont accueillis triomphalement: si les résultats sont minces, l’expédition a atteint son but, l’Inde, justifiant près d’un siècle d’efforts.

Une compétition sans partage

Le voyage de Vasco de Gama marque un tournant dans l’ère des explorations. Par la suite, le rythme des découvertes s’accélère, tant du côté portugais que du côté espagnol. La route des Indes trouvée, les Portugais veulent s’assurer le monopole du commerce dans l’océan Indien. Tous les moyens leur sont bons pour écarter les concurrents, arabes notamment. Ainsi, en 1502, Vasco de Gama fait-il couper le nez, les oreilles et les mains des 800 hommes de l’équipage d’une flotte arabe chargée de riz rencontrée devant Calicut; les mutilés sont ensuite entassés à bord des navires, auxquels les Portugais mettent le feu.

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