Le réveil démographique de l'Europe

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Le réveil démographique de l’Europe

Jusqu’au début du XVe siècle, l’Europe est ravagée par les guerres, les grandes épidémies, les famines. La peste noire notamment, qui culmine en 1348, décime la population, des pays méditerranéens au nord du continent (on estime qu’un tiers, au moins, des Européens sont alors anéantis). Le fléau interrompt et désorganise toutes les activités. Cependant, à partir du milieu du XVe siècle, la population de l’Europe augmente.

Une économie stimulée

Les premières expéditions lointaines partiront du Portugal, petit royaume très peuplé, moins atteint que le reste de l’Europe par les ravages de la peste, et qui connaît tôt un besoin d’approvisionnement extérieur (en blé notamment) et d’expansion. Dans les autres pays européens, les cultures céréalières se déploient, les villes s’étendent, les foires reprennent vigueur; le commerce plus actif stimule les échanges de monnaie et rend plus pressant le besoin en métaux précieux. L’argent produit en Europe, qui constitue depuis l’époque romaine la principale monnaie d’échange, tend à être supplanté par l’or, qui a cours dans le monde arabe et dont les principales sources d’exploitation se trouvent en Afrique, au sud du Sahara, dans ce qu’on appelle le Soudan – soit les régions actuelles de la Guinée, du Mali, du Burkina, du Niger. L’or, dont le circuit commercial est contrôlé par les musulmans, transite alors par caravanes à travers le désert. C’est entre autres pour aller directement à la source du précieux métal soudanais, en évitant l’intermédiaire des marchands arabes, que les Portugais entreprennent leurs expéditions maritimes vers l’Afrique guinéenne.

Des objectifs multiples et ambigus

Les Grandes Découvertes ont donc été entreprises avant tout pour des motifs économiques, même si d’autres raisons ont été invoquées, comme la recherche du royaume du fameux Prêtre Jean. Depuis longtemps, il était question en Europe de ce mystérieux souverain chrétien qui possédait un vaste empire à la localisation incertaine: on l’avait dabord placé en Asie, du côté de la Chine ou de l’Inde; puis, au XIVe siècle, de nouveaux renseignements étaient parvenus, qui le situaient dans ce que l’on appelait alors l’«Inde première», cest à dire les pays abyssins où régnait en effet un prince chrétien. Les Portugais, lors de leurs premiers voyages d’exploration autour de l’Afrique, ont recherché cet empire qui s’étendait, pensait-on, jusqu’aux confins de l’Atlantique.

Le marché des épices («indes»)

Outre la recherche de l’or, un puissant motif pousse les Européens du XVe siècle à se lancer dans de lointaines et périlleuses expéditions: atteindre directement le pays des épices, cest à dire l’Extrême Orient, l’Inde fabuleuse dont l’Europe achète – très cher – les produits par l’intermédiaire des Arabes et des Vénitiens. Les épices sont en effet en cette fin de Moyen Âge des denrées très appréciées par l’aristocratie et la bourgeoisie aisée, qui en consomment de grandes quantités. Le clou de girofle, la cannelle, la muscade, le poivre, le gingembre, appelés génériquement «indes», servent à dissimuler le goût de la viande, dont l’approvisionnement n’est pas régulier tout au long de l’année – le manque de fourrage en hiver oblige à tuer beaucoup de bétail à l’automne – et qui, conservée dans le sel ou fumée, s’avarie vite. Les «indes» ont en outre la réputation d’avoir des vertus curatives. Mais c’est, semble-t-il, par goût de l’ostentation, comme marque de distinction sociale, que les épices sont consommées en telle quantité par la haute société européenne. Or, au cours du siècle, l’approvisionnement devient difficile.

Une voie directe

En 1453, Constantinople est prise par les Turcs. Tandis qu’à l’est s’effondre l’Empire mongol, qui avait garanti une paix propice aux échanges, les Ottomans, musulmans, construisent aux frontières occidentales de l’Asie un État hostile aux chrétiens. La route terrestre des Indes, par laquelle les marchandises étaient transportées à dos d’animal jusqu’à la Méditerranée et à la mer Noire, se trouve ainsi coupée. Le transport s’organise alors par des voies détournées: des jonques chinoises acheminent les épices et les soies de Malaisie en Inde, puis en Perse et en Arabie, d’où elles sont transférées vers les grands ports méditerranéens. Mais à chaque étape le prix monte: le poivre, que l’on paie moins de 3 ducats en Inde, en coûte 68 au Caire, et presque le double à Venise, soit plus de cinquante fois le prix d’origine. L’idée de trouver une route maritime directe, qui permette d’éviter à la fois les Turcs hostiles et les Vénitiens jaloux de leur monopole, s’impose alors. Elle inspire les grands voyages des Portugais et, en partie, ceux de Colomb.

Rencontrer et convertir

Une autre motivation intervient, qui apparaît cependant secondaire: celle de rencontrer les chrétiens de l’étranger et de porter la bonne parole aux païens des terres lointaines, ce que les souverains et les navigateurs de l’époque considèrent comme relevant naturellement de leur mission. Lorsque Vasco de Gama arrive en Inde, l’un des membres de son équipage, à qui l’on demande ce qu’il est venu faire, ne répond-il pas: «Nous sommes venus à la recherche de chrétiens et d’épices»?

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