L'apogée

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L’apogée

La Méditerranée au XVIe siècle

Selim Ier (1512-1520) Sous les deux sultans suivants, l’Empire ottoman connaît sa période la plus faste. Selim Ier (1512-1520) met fin à la crise anatolienne et prend l’Azerbaïdjan, la Cilicie et le Kurdistan. De même, il s’attaque aux Mamelouks, alors à la tête d’un véritable empire s’étendant de la haute Égypte à l’Anatolie en passant par la Syrie et la Palestine, dont l’autorité est reconnue jusqu’au Hedjaz, où ils comptent comme vassal le chérif de La Mecque. Leur prestige est d’autant plus grand que leur capitale, Le Caire, accueille le calife, chef spirituel de l’islam sunnite. En 1516-1517, les troupes ottomanes prennent la Syrie, la Palestine et l’Égypte. Ayant reçu l’allégeance du chérif de La Mecque, Selim Ier, devenu officiellement le «protecteur et serviteur des deux villes saintes», transfère le calife abbasside à Istanbul. Ainsi, les Ottomans deviennent les chefs politiques et religieux de l’islam. La conquête se poursuit avec l’arrivée au pouvoir du fils de Selim Ier, connu, en Orient, sous le nom de Kanuni Süleyman (Soliman le Législateur) et, en Occident, sous celui de Soliman le Magnifique (1520-1566).

Soliman le Magnifique (1520-1566) Chronologie (1520) Chronologie (1529) Ce souverain compte parmi les figures les plus célèbres de l’histoire universelle. Sous son règne, l’Empire, à son apogée, est la puissance majeure du Vieux Monde. Tous les pays arabes, à l’exception du Maroc – avec qui il entretient cependant d’intenses relations diplomatiques –, reconnaissent directement ou indirectement sa suzeraineté. L’Occident lui concède encore Belgrade, Rhodes – prise à l’ordre des chevaliers de Saint‑Jean –, de nouveaux territoires en Hongrie et la Transylvanie. Son espace maritime couvre le bassin oriental de la Méditerranée, le sud du bassin occidental jusqu’aux abords du Maroc, la mer Noire, la mer Rouge et le sud‑ouest du golfe Arabo‑Persique. Grâce à une diplomatie active, son rayonnement parvient jusqu’en Afrique subsaharienne, où il établit des relations soutenues avec l’Empire songhaï et le royaume de Bornou. Dans l’Aïr (Niger), à la fin du XVIe siècle, l’ascendant ottoman est si fort que la légitimité politique s’obtient par envoi d’ambassade à Istanbul.

Structure de l’État

Diversité ethnique

Sur le plan ethnique, l’Empire se compose notamment de Turcs, d’Arabes, de Persans, de Tatars, de Kurdes, de Grecs, de Coptes, de Tsiganes, de Berbères, d’Arméniens, de Slaves, d’Albanais, de Hongrois. Mais sa diversité est aussi religieuse, il regroupe aussi bien des musulmans (sunnites, chiites) que des chrétiens (orthodoxes, catholiques, arméniens, monophysites) et des juifs (romaniotes, karaïtes, séfarades et ashkénazes). Aux antipodes d’un État‑nation, l’Empire assure la cohabitation de ces éléments hétérogènes sans chercher à les uniformiser, à les turquifier ou à les islamiser. Sur le plan linguistique, le respect de la diversité est tel que, pendant très longtemps, il n’y a pas une seule langue, officielle et codifiée; l’«ottoman» – mélange d’arabe, de turc et de persan – ne devient exclusif qu’à partir de 1839. Tout en reposant sur la charia, la construction politique ottomane fait bonne place aux droits coutumiers des différentes populations.

Tolérance religieuse

Le christianisme orthodoxe, qui eut tant à combattre l’«absolutisme» papal, rencontre auprès des musulmans ottomans une volonté de dialogue et de coexistence. La tolérance turque – maintenue même pendant la période de décadence – profite aussi aux juifs. Ceux-ci, expulsés de la péninsule Ibérique, d’Italie du Sud, des pays germaniques et de Provence, émigrent en grand nombre dans les pays de la Porte. Les hommes politiques recrutent parmi les Turcs musulmans et parmi les Grecs chrétiens.

Organisation de l’État

Des quarante‑sept grands vizirs qui se succèdent entre 1453 et 1623, cinq seulement sont d’origine turque. Les sujets du sultan – monarque absolu – se distinguent principalement par leurs fonctions: d’une part, les asker, soldats et serviteurs de l’État, exempts de l’impôt, de l’autre, les reaya – en quelque sorte le tiers état –, producteurs imposables. La direction du gouvernement est confiée à un grand vizir nommé par le sultan. Les provinces, selon leur importance, sont gouvernées soit par des chefs militaires, soit par des pachas (gouverneurs). Les revenus de l’État sont assurés par des impôts qui frappent les biens des reaya: une dîme et un impôt foncier, dont s’acquittent les paysans; une capitation payée par les sujets non musulmans; une dîme aumônière réservée aux musulmans. À ces revenus s’ajoutent ceux des douanes, des taxes extraordinaires, des contributions locales, des droits de succession, ainsi que des tributs payés par les riches provinces d’Égypte et d’Iraq et par les États «protégés» de Moldavie, de Valachie et de Raguse. L’armée constitue le principal instrument du pouvoir. On y distingue des troupes appointées par l’État – fantassins, janissaires, armuriers, canonniers et cavaliers –, des troupes provinciales mobilisées de façon saisonnière et rétribuées par les titulaires de «fiefs» (timariotes) et des troupes irrégulières.

Une économie prospère

La force de l’Empire repose aussi sur une économie prospère et étroitement supervisée par l’État. Les corps de métiers, groupés en corporations ou guildes, sont soumis à l’autorité d’inspecteurs et de juges, qui surveillent la production, régulent la concurrence, contrôlent les prix et surtout qui assurent l’approvisionnement d’une capitale de près de 700 000 habitants. Le surplus de production fait l’objet d’un grand commerce qui parcourt l’espace impérial mais aussi le déborde en direction de l’Europe occidentale. L’Empire, voie de passage entre les pays de l’Extrême et du Moyen‑Orient et ceux de l’Occident, centre d’appel et de redistribution des marchandises, attire les commerçants du monde entier. Vénitiens, Génois, Ragusains, Moldaves, Polonais, Valaques, Moscovites, anciennement présents, sont peu à peu rejoints puis concurrencés par de nouveaux venus d’Europe occidentale. En 1569, les Français établissent des consulats dans plusieurs villes: Istanbul, Alexandrie, Tripoli (Syrie), Alep et Alger. Les Anglais reçoivent des capitulations, en 1579, et les Hollandais en 1612.

La richesse de l’Empire stimule la vie intellectuelle et artistique. De tout l’espace ottoman, artistes, poètes, architectes et savants affluent à Istanbul et contribuent par leur talent à l’éclat d’une civilisation née de la rencontre de plusieurs traditions.

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