Montée des nationalismes

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Montée des nationalismes

La désintégration se poursuit avec d’autant plus d’acuité que de nombreuses insurrections éclatent en divers points de l’espace ottoman. Les allogènes, gagnés à l’idéologie de la Révolution française, trouvent un soutien auprès des puissances occidentales. L’Empire, «homme malade de l’Europe», attaqué de toutes parts, tente vainement de se donner une «peau neuve» en se restructurant et en adoptant le modèle politique qui avait tant réussi à ses ennemis occidentaux, mais c’est sans compter avec la volonté d’hégémonie de l’Occident. Les réformateurs, s’ils parviennent à bouleverser le paysage institutionnel, économique et social de l’Empire, ne peuvent endiguer les mouvements séparatistes, soutenus par les grandes puissances, lesquelles sont préoccupées par la «question d’Orient», un des enjeux majeurs des relations internationales au XIXe siècle. Très rapidement, la Grèce (en 1828, puis en totalité en 1913) et l’Algérie (1830) sont perdues. Les rivalités entre grandes puissances se concentrent alors dans les Balkans, où les intérêts contradictoires de l’Angleterre, de la Russie, de l’Autriche et, à un degré moindre, de la France puis de l’Allemagne sont en jeu. Ainsi, en 1853, après l’invasion de la Moldavie par le tsar Nicolas Ier, Napoléon III, soutenu par l’Angleterre et le Piémont, intervient (guerre de Crimée, 1854-1855). L’intégrité de l’Empire ottoman est maintenue, mais la Valachie et la Moldavie deviennent autonomes (leur réunion, en 1859, forme la Roumanie, qui acquiert son indépendance en 1878). Les Russes ne renoncent pas à leurs ambitions et appuient les Serbes dans leur lutte contre l’Empire (1876), mais aussi les peuples slaves encore soumis aux Turcs. La répression féroce menée par les bachi‑bouzouks en Bulgarie entraîne l’intervention du tsar Alexandre II. Très vite, l’armée russe est à Istanbul (guerre russo‑turque de 1877); le tsar impose au sultan le traité de San Stefano (3 mars 1878), avantageux pour lui et pour tous les Slaves des Balkans. Mais les autres puissances interviennent: la Russie doit accepter la réunion du congrès de Berlin (juin-juillet 1878). L’Autriche et l’Angleterre en sortent particulièrement avantagées, au détriment de la Russie et de la Bulgarie. L’Empire ottoman, s’il conserve (théoriquement) la Bulgarie, perd toutes ses provinces slaves de l’Adriatique, l’Albanie et Chypre, puis la Tunisie (1881) et définitivement l’Égypte (1882)!

L’écroulement financier

La perte de tous ces territoires entraîne la diminution des ressources financières ottomanes. Pour assurer ses services publics, pour s’acquitter de l’indemnité de guerre due aux Russes (environ 800 millions de francs), l’Empire doit recourir à l’aide occidentale. Les banques françaises et anglaises, qui acceptent de pourvoir à ses déficiences, exigent en retour la perception de ses principaux revenus. Cette perte de souveraineté est le seul moyen de ne pas connaître le sort de la Tunisie et de l’Égypte, tombées toutes deux sous le contrôle politique de l’Europe pour cause d’insolvabilité. Mais les puissances occidentales continuent d’attiser le feu des nationalismes crétois, arménien et macédonien, ce qui déstabilise davantage l’Empire.

La révolution des Jeunes‑Turcs

Les Ottomans, isolés et lâchés par les minorités, ne peuvent plus que compter sur leurs propres forces. Gagnés à leur tour par le nationalisme, ils finissent par s’identifier avec le groupe religieux des musulmans, puis avec le groupe ethnique des Turcs. Du reste, l’Empire, après les amputations successives qu’il a subies, n’est plus le même; des millions de musulmans – expulsés des Balkans, du Caucase et de Crimée – ont afflué en Anatolie. Entre 1878 et 1914, 300 000 chrétiens (Arméniens, Grecs et Arabes) émigrent en Russie, en Europe occidentale et aux États‑Unis, tandis que les juifs, encouragés par les puissances occidentales, vont s’installer en Palestine. C’est dans ce contexte difficile qu’éclate la révolution des Jeunes‑Turcs, des intellectuels et des officiers ottomans qui animent le comité Union et progrès. Leur mouvement, dabord libéral, suscite l’enthousiasme des Arabes et des Arméniens, mais, après les pertes des îles du Dodécanèse, de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque (1911-1912) au profit des Italiens, puis la défaite contre la Grèce, la Bulgarie et la Serbie dans la Ire guerre balkanique (octobre 1912‑mars 1913), leur combat tourne rapidement au panturquisme.

La République turque

À Istanbul, le gouvernement accentue sa politique autoritariste et fait de plus en plus appel au soutien germanique, ce qui le conduit à s’engager aux côtés de l’Allemagne dans la Première Guerre mondiale. La défaite, consacrée par l’armistice de Moudros (30 octobre 1918), puis par le traité de Sèvres (10 août 1920), se solde par un nouveau démembrement. Amputé du Kurdistan, de la Thrace, de la région de Smyrne, de l’Arménie, de la Syrie et de l’Arabie, l’Empire est ravalé au rang d’un petit État anatolien. L’humiliation suscite une réaction nationaliste menée, dès le 19 mai 1919, par Mustafa Kemal. Après plus de deux ans d’une rude guerre d’indépendance, les kémalistes évincent les Grecs de l’Anatolie, recouvrent la Thrace ainsi que les îles d’Imbros et de Ténédos. Le traité de Lausanne (24 juillet 1923) efface l’humiliation du traité de Sèvres. Les Turcs conservent le contrôle des détroits; les capitulations sont abrogées et le principe de la liquidation de la dette publique ottomane est admis. En contrepartie, les kémalistes reconnaissent l’indépendance des anciennes provinces arabes, qui vont aussitôt grossir les rangs des colonies occidentales.

En novembre 1922, l’Assemblée vote l’abolition du sultanat. Le 29 octobre 1923, la République turque est proclamée.

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