Enfance de Amirouche Ait Hamouda

Auteur:
Source ou livre:
Numéro de la page:

Contenu de l'article

Une partie des qualités qui déterminent l’essentiel du destin d’un homme sont innées.

Le vécu de chaque individu peut cependant en souligner ou en contrarier certaines. Ce qui fait de chacun de nous une personnalité singulière avec ses évolutions, positives ou non, c’est la résultante d’une somme d’expériences complexes qui s’ajoutent ou se neutralisent, accélérant ou retardant le processus de formation de l’individu.

Dans le cas d’Amirouche il n’y eut ni doute ni heurts dans son cheminement : l’inné semble avoir été fécondé par l’expérience dans une remarquable harmonie.

Dès son plus jeune âge, il comprit que l’existence est volonté et qu’elle s’accomplit dans l’épreuve et le dépassement de soi. Le refus du fatalisme, une énergie vitale mise au service d’une cause sacralisée lui permirent d’accomplir les missions les plus improbables avec un dévouement sans faille pour la collectivité ; telles sont quelques-unes des constantes qui auront à la fois déterminé et rythmé la vie d’Amirouche

Le petit Aït Hamouda revint donc, à l’âge de 11 ans et demi, au sein de sa famille paternelle.

Cette réintégration contribua sans doute à donner de 35 l’assurance au jeune « exilé » d’Ighil bwammas.

En effet, l’organisation socio-politique kabyle est très codifiée : quand on est recueilli par une famille extérieure à son village, on n’est pas admis aux délibérations de l’assemblée (tajmaât).

On est un habitant toléré, mais pas un citoyen. Amirouche, ayant vécu comme garçon de peine, loin de sa famille, avait connu cela. À l’occasion des fêtes familiales ou religieuses qui le ramenaient de l’Ouest du pays à Tassaft, il put retrouver, dans son milieu originel, une identité qui le légitimait, ce qui participa probablement à développer plus rapidement ses capacités : il avait saisi très tôt que rien n’était donné dans la vie – et encore moins dans la Kabylie des années 30.

Lire aussi ENA : Naissance d’un nationalisme populaire

En revenant d’Oued Fodda à son village, Amirouche ne manquait pas de se rendre disponible à chaque fois qu’un membre de la famille ou un voisin exprimait un besoin ou que surgissait un problème dans la communauté.

Quand il lui arrivait de passer un peu plus de temps en Kabylie, une fois la visite à sa mère et son frère restés à Ighil bwammas faite, il consacrait le reste de ses journées aux travaux des champs de son cousin Belaïd, tout en gardant les quelques bêtes susceptibles de rapporter un peu d’argent en cas de coup dur. À l’occasion, un de ces animaux était sacrifié lors des fêtes profanes ou religieuses, rites qui permettaient aussi – surtout – de se retrouver et de partager enfin un repas garni de viande. Quand Dda Belaïd rejoignait son petit cousin au pays, il n’était jamais déçu.

Les recommandations faites avant chaque départ d’Oued Fodda étaient toujours suivies d’effet. Chaque saison avait ses obligations.

Il fallait tailler les arbres, relancer à temps les rares propriétaires de paires de bœufs pour labourer les champs à l’automne puis, au printemps, sarcler les parcelles ensemencées.

Certes, en ces temps de survie individuelle et collective, la vie obligeait garçons et filles à mûrir vite, mais Amirouche, même s’il n’était présent qu’épisodiquement au village, ne manquait pas de susciter des commentaires de plus en plus élogieux face à tant d’abnégation et de ténacité. Et il n’était pas rare qu’un père, agacé par l’indolence de son fils trop porté sur la flûte et les célébrations languissantes d’un amour platonique, bousculât son rejeton en citant l’exemple du jeune garçon qui, n’ayant pas connu son père, acculé à un exil précoce, assumait pourtant de façon si convenable le rôle de chef de famille.

Said Saadi AMIROUCHE UNE VIE DEUX MORTS UN TESTAMENT ( p.p 34-35 )

comments powered by Disqus