Pour une Algérie républicaine

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ferhat abbas

Lorsqu’on témoigne devant les responsables d’un pays, la seule valeur du témoignage est la sincérité. «Ne cachez pas votre témoignage, dit le Coran; quiconque le cache se rend coupable à l’égard de Dieu.» En la circonstance, je n’ai rien à cacher. Je dis ce à quoi je crois. Je n’appartiens pas à la catégorie des «hystériques» du nationalisme, ni à celle de ceux qui pratiquent le «nationalisme du tube digestif».

Avant d’être algérien, je suis musulman. Le nationalisme dépend du hasard de la naissance. La foi religieuse requiert le combat intérieur, le doute et l’adhésion consciente et raisonnée. Etre musulman algérien pose des problèmes. Notre peuple ne semble pas prêt à vivre en son temps, En 1962, il venait d’arracher son indépendance.

Il laissa perdre sa liberté. Semblable à un oiseau apprivoisé, il se laissa enfermer dans sa cage par une «dynastie» qui apportait avec elle un schisme pseudo -révolutionnaire. Demain se lèvera le jour En 1965, une nouvelle dynastie, se réclamant du même schisme, chassa la première.

Elle fortifia les barreaux de la cage et poursuivit son règne. Ne nous faisons pas d’illusions. Le changement, le renouveau, ne viendront que d’institutions républicaines et libérales grâce à quoi la cage sera brisée et notre peuple libéré pourra voler de ses propres ailes.

L’Algérie s’attaquera alors aux vrais problèmes : sortir du Moyen-Age et de ses servitudes ; accéder aux temps modernes par la culture, la science moderne, la technique ; s’armer pour éviter le retour des régimes d’oppression d’où qu’ils viennent ; construire un Maghreb uni pouvant avoir une meilleure vision des problèmes mondiaux et une plus grande audience internationale.

En août 1954, je me trouvais à Paris. Reçu par le ministre de l’intérieur, M. François Mitterrand, je lui ai demandé de faire quelque chose pour éviter le pire. Il me demanda : «Que pouvons-nous faire ?» «Consulter notre peuple par des élections libres» lui ai-je répondu.

C’est la même revendication que je formule aujourd’hui aussi solennellement à l’adresse des nouveaux «maîtres» qui nous gouvernent. Aucune personne, aucun groupe de personnes, aucun parti ne peut se substituer à la volonté générale librement exprimée. C’est pourquoi, il faut commencer par le commencement : consulter le peuple. À cet égard, il faut élire au suffrage universel libre et direct, une Assemblée Nationale Constituante. Toutes les opinions pourront s’exprimer.

Le peuple pourra désigner les constituants de son choix. N’oublions pas que c’est bien la première fois dans son histoire que l’Algérie s’est libérée elle-même. À ce titre, se Demain se lèvera le jour donner une constitution de son choix est un droit doublement mérité. Aussi bien proposerai-je à l’Assemblée Constituante ainsi élue d’interroger le peuple une deuxième fois, en lui demandant d’établir des sortes de «cahiers de doléances», à l’exemple des cahiers des états généraux de 1789 en France, où tout un chacun consignerait ses propres idées sur le devenir du pays. Villes, villages, hameaux, hommes, femmes, étudiants, ouvriers, commerçants, paysans, feront parvenir à l’Assemblée dans un délai de six mois leurs cahiers de revendications.

Ces cahiers seront attentivement examinés par les constituants qui trouveront leur tâche facilitée. Cette double consultation est nécessaire à un peuple traumatisé par plus de sept ans de sacrifices, de peur, de silence, de discipline féroce. Ce peuple a besoin de se défouler, de s’exprimer, de revendiquer, de dire ce qu’il a sur le cœur. Qui, depuis les premiers khalifes électifs a demandé aux musulmans d’exprimer leurs conceptions de l’état, des institutions, des lois ? La démocratie est un apprentissage continuel, une patiente discipline de soi-même. C’est à cette démocratie qu’il convient d’initier l’Algérie

Ferhat Abbas

Demain se lèvera le jour

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