De l'entassement à la construction

articles, malek_bennabi
Auteur:
Source ou livre:
Numéro de la page:

Contenu de l'article

Malek Bennabi

Le monde musulman est demeuré longtemps en marge de l ‘histoire, évoluant sans but ou, à l’image du malade impuissant, résigné face à la maladie, perdit le sentiment de la douleur, devenue une partie de lui-même. Juste avant l’avènement du XXe siècle, il entendit quelqu’un lui rappeler sa maladie et un autre lui évoquer la sollicitude divine parvenue jusqu’à son oreiller. 

Il n’a pas tardé à se réveiller de son profond sommeil et sentir l’effet de la douleur. Avec ce réveil apathique, une nouvelle ère commença pour le monde musulman, une ère appelée Renaissance. Mais que signifie ce réveil ? Il est nécessaire de garder à l’esprit la ”maladie” dans son acception médicale pour qu’on ait une idée juste sur le cas. Évoquer une maladie ou l’éprouver ne veut pas dire, en toute évidence, ”remède”. Le point de départ, ce sont les cinquante dernières années*. Elles nous expliquent la situation présente dans laquelle évolue le Monde musulman, une situation qui peut être interprétée de deux façons antinomiques. D’une part, le résultat probant des efforts fournis tout au long d’un demi-siècle au service de la Renaissance. De l’autre, le résultat décevant d’une évolution qui a pris toute cette époque, alors que les jugements ne se sont ·guère accordés pour définir ses objectifs et ses tendances.

Il est possible d’examiner les annales de cette étape. Elle est fournie en documents, études, articles de presse et congrès sur le thème de la Renaissance. Ces études se penchent sur le colonialisme et l’analphabétisme par-ci, la pauvreté et le dénuement par-là, l’absence de l’organisation et des déséquilibres de l’économie et de la politique, en d’autres occasions. Une analyse méthodique du ”cas” lui fait, cependant, défaut.

Je parle ici d’une étude pathologique de la société musulmane et qui ne laisse pas de place au doute sur la maladie qui la ronge depuis des siècles.

Nous notons dans les documents que chaque réformateur décrit la situation suivant une opinion, une humeur ou une profession. De l’avis de l’homme politique, comme celui de Djamal Eddine Elafghani, le problème est d’ordre politique et se règle par des moyens politiques, alors que, de l’avis d’un religieux comme Cheikh Mohamed Abduh, le problème ne sera résolu qu’en réformant le dogme et le prêche … Alors qu’en fait, ces deux diagnostics n’abordent pas la maladie, mais attaquent ses symptômes.

Il en résulte que, depuis cinquante ans, ils ne soignent pas le mal mais les symptômes. Le résultat était proche de celui d’un médecin qui, faisant face au cas d’un patient atteint de tuberculose, s’attaque non pas aux agents pathogènes chez le patient, mais à sa fièvre. Voilà cinquante ans que le malade, lui-même, veut se remettre de nombreuses douleurs: colonialisme, analphabétisme, apathie … Il ne connaît pas la nature de sa maladie et n’essaye pas de la connaître. Tout ce qu’il y a, c’est qu’il sent des douleurs, accourt chez le pharmacien, n’importe quel pharmacien, pour acquérir des milliers de remèdes afin de calmer des milliers de douleurs.

En réalité, il n’y a que deux voies pour mettre fin à ce cas pathologique: mettre fin à la maladie ou en finir avec le malade. Il nous revient de nous demander, à cet instant, si le malade qui est entré à la pharmacie connaît exactement sa maladie:

Malek Bennabi

comments powered by Disqus