Extrait "Dictionnaire amoureux de l'Islam" - Goethe et l’Orient -

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Goethe et l’Orient

Hormis quelques relations de voyages, nous savons peu du lien que les Allemands entretiennent avec la culture et la civilisation arabo-musulmanes. Je ne compte pas les différentes guerres impériales entre la Turquie ottomane et l’Empire austro-hongrois, qui ont donné lieu à de nombreux récits de bataille. Bien sûr, il y eut quelques missions menées par des diplomates, des messagers, des hommes du monde. Au XIX e siècle, Mehren, un arabisant d’origine allemande, a même découvert une correspondance entre le philosophe soufi* Ibn Sab’in Abd al-Haqq et l’empereur Frédéric II Hohenstaufen, mais leurs échanges sont demeurés lapidaires et sans suivi. Aux XVIII e et XIX e siècles, des relations plus ténues semblent se nouer. 

Dans son Divan occidental-oriental, Westöstlicher Diwan, Johann Wolfgang von Goethe (1749- 1832) tente de s’affranchir de toutes les inhibitions liées à l’histoire mouvementée de ces deux civilisations, guerres comprises, pour se mesurer au Diwan* du poète persan Hafiz, mort en 1389 mais dont la traduction allemande venait tout juste de paraître (1813-1814).

Goethe était attiré depuis longtemps par l’Orient et il avait consacré au Prophète un poème quelques années plus tôt (1773). Dans ce recueil poétique, celui qui « domina la littérature allemande pendant un demi-siècle » (dixit Napoléon) voulait traduire la renaissance sensorielle et le rajeunissement physique et spirituel d’un homme déjà mûr – Goethe avait alors 70 ans – épris de passion pour Marianne von Willemer. 

Conçu comme le voyage poétique d’un Occidental en Orient, un peu à la manière des Lettres persanes mais à l’inverse, son Divan occidental-oriental, écrit en 1819, est, selon les propres termes de Goethe, une « seconde puberté », tandis que Heinrich Heine, son contemporain, prétendait qu’il était « la chaleur du sein de l’Orient » que l’Occident recherche car il est dégoûté de sa faible et froide spiritualité. Il faut dire que la rédaction de l’œuvre, qui correspondait aussi à un retour du poète aux sources de son enfance en Rhénanie, transcende le cycle ordinaire de la passion pour s’élever à un niveau d’universalité que n’ont pas les autres écrits de Goethe : « Fuis donc vers le pur Orient/Goûter à l’air des patriaches. » L’un des aspects de cette universalité du Divan de Goethe fut sa continuité dans le temps. En effet, le Punjabi Mohammed Iqbal (1873-1938), grand réformateur de l’islam, a écrit une suite persane au dialogue que Goethe avait imaginé avec Hafiz. 

Cette suite s’appelle Message de l’Orient (Payam-i-Mashriq). Il s’agit d’un long poème qui vise à redonner à l’homme tout le prestige dont il a été trop souvent dépossédé. Ne fais pas de fête sur le rivage Où se meurt doucement la mélodie de la vie : Plonge dans la mer, lutte avec les vagues ; L’immortalité est le prix d’un combat (Iqbal). Et puisque j’ai évoqué la culture allemande, on ne sait pas grand-chose non plus des liens entre l’Autriche et le monde arabe, hormis évidemment l’intérêt que Sigmund Freud (1856-1939) manifeste pour l’Orient, encore que la civilisation pharaonique l’ait bien plus inspiré que l’islam ou le monde arabe. 

Malek Chebel

Dictionnaire amoureux de l’Islam.

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