Les Séfévides

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Des onze souverains séfévides qui régnèrent sur l’Iran entre 1501 et 1736, deux seuls s’élevèrent au-dessus de la norme par leur personnalité et leur œuvre : Chah Ismaïl (1501-1524) et Chah Abbas I er le Grand (1588-1629), et, comme le dit Jean Chardin, quand ce dernier « cessa de vivre, la Perse cessa de prospérer ». C’est donc à eux que la dynastie doit sa réputation brillante et l’éclat indéniable qu’elle donna à l’Iran, mais que l’on exagère au point d’aller jusqu’à dire parfois que jamais ce pays n’avait été aussi grand que sous elle.

Que fait-on des Achéménides ? Que fait-on des Sassanides ? Où voit-on naître aux XVIe–XVIIe siècles les grands hommes et les grandes œuvres qui illustrèrent les époques de la domination arabe, des Samanides, des Seldjoukides, des Ilkhans et des Timourides ?

Ispahan éblouit, mais la masdjid-i Chah (masdjid-i Imam, dit-on maintenant) n’a aucune créativité. Les miniatures enchantent, mais Riza Abbassi est loin d’égaler Ghiyath alDin et Behzad.

Les tapis sont merveilleux, mais on n’a pas conservé ceux qui avaient été tissés avant, et l’on manque donc de points de comparaison. Les céramiques étincellent, recouvrent d’un vêtement éclatant la totalité des monuments, mais, sauf exceptions, elles ne sont pas en mosaïques, mais en carreaux préfabriqués. Il n’y a pas un vrai poète, car on ne peut compter comme tels au XVIe siècle Hatifi, neveu de Djami, Ahli, Orfi, même Mohtacham de Kachan, au XVIIe siècle Saïbi. Il n’y a pas un historien de talent. Il n’y a pas un savant. Où sont les Firdusi, les Nizami, les Hafiz ? Ou sont les Djuvaini et les Rachid al-Din ? Où sont les Biruni, les Avicenne, les Kachani ? L’Iran brille, mais tout ce qui brille n’est pas or. L’Iran brille d’un ultime éclat infiniment séduisant, mais il entre déjà en décadence. Les temps sont difficiles. La situation de l’Iran l’est plus encore. À l’intérieur, il manque des élites intellectuelles, en partie parce que beaucoup ont fui les persécutions, sont allées se réfugier en Turquie ou en Inde, où elles renforcent les influences iraniennes, donnent naissance à quelques talents comme Faizi qui traduisit en vers persans le Mahabharata.

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La volonté de souder le pays en en faisant un État purement chiite entraîne un développement excessif des études théologiques (en arabe) et liturgiques (en persan), et instaure un régime théocratique – entendons bien un régime où l’État est au service de la religion, et non pas, comme en Turquie ottomane, où la religion est au service de l’État. L’autorité des mollahs ne cesse de s’accroître, et par suite leur nombre, la carrière ecclésiastique se révélant une des plus valorisantes et des plus lucratives. À l’extérieur, deux grandes puissances avoisinent l’Iran, celle des Ottomans à l’ouest, celle des Grands Moghols à l’est, et un royaume non négligeable, celui des Uzbeks au nord-est, au moment même où apparaissent les Européens et leurs empires coloniaux : celui du Portugal d’abord, celui de la Hollande ensuite, celui de l’Angleterre enfin, qui s’emparent du commerce, multiplient leurs comptoirs et leurs bases, contrôlent la navigation dans l’océan Indien et dans le Golfe. L’état de guerre est presque permanent.

L’Iran n’a plus d’ouverture que sur les steppes septentrionales, où les Russes arrivent bientôt (prise d’Astrakhan sur la Caspienne dès 1555).

Jean Paul Roux

Histoire de l’Iran et des Iraniens ( p.p 320-321 )

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