Les fils de la Toussaint de Yves Courrière ( 1 )

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Krim Belkacem a pris le maquis. Il a vingt-cinq ans. Commence alors une des aventures les plus extraordinaires de la guerre d’Algérie qui conduira le fils du caïd d’un douar perdu de Kabylie à la table de conférence d’Evian où, quinze ans plus tard, représentant le peuple algérien, il signera les accords et le cessezle-feu… Krim Belkacem devient une figure de la Kabylie. Sans relâche il parcourt le djebel, tentant de politiser la masse kabyle. Il est nommé chef de région du P.P.A. clandestin, recueille les cotisations, entreprend un programme d’éducation politique de la population. Il est infatigable. Il fait des rapports sur l’état d’esprit du peuple, sur ses réactions à chaque événement important. En même temps il commence une préparation psychologique au « coup dur ». « Si ça se déclenche, dit-il aux hommes, êtes-vous prêts à y aller ? » Les nouvelles recrues sont de plus en plus nombreuses.

La bande rebelle de Krim Belkacem impressionne la population, galvanise les jeunes. Car Krim n’est plus tout seul, un sergent de l’armée française, Omar Ouamrane, l’a rejoint, puis bien d’autres. Ouamrane devient son lieutenant. Us sont tous deux de taille moyenne. Krim a le front large, les yeux perçants, le visage plein. Sa vitalité et la Sten qu’il tient toujours sous sa veste lui donnent un grand prestige. Il sait aussi parler à la population, convaincre, donner confiance. Ouamrane, lui, ce n’est pas pareil, il fait peur. Il a un visage large et des mâchoires démesurées. Sa force est colossale. On a l’impression d’avoir un bison devant soi.

Des petits yeux en amande semblent transpercer, fouiller celui sur qui ils se posent. Ouamrane, avec ses épaules de lutteur, surprend dans ces montagnes kabyles où les hommes paraissent si frêles, si secs, malgré une endurance extraordinaire. Il paraît déplacé, d’une autre race, venu d’un autre monde. Ouamrane, c’est une demi-douzaine de ces Kabyles, avec une seule tête. Enorme. Un bulldozer.

Les autorités s’inquiètent de l’activité de la bande. On va créer des milices kabyles qui les traqueront avec l’aide des caïds et de leurs protégés. Puisque la population soutient ces hors-la-loi, tant pis pour elle. Perquisitions, arrestations, interrogatoires se succèdent. En vain. Krim court toujours et plus que jamais. Et la population des douars de cette partie de la Kabylie fait connaissance, avant l’heure, avec ce que sera la vie atroce de l’Algérien moyen, du fellah, pendant la guerre d’Algérie.

La population a peur. Krim semblait bien sympathique, bien sûr qu’il a raison quand il parle mais il amène tous ces ennuis. Les milices qui viennent n’importe quand, les jeunes qui veulent tout cassé, qui veulent partir. L’antagonisme qui a opposé Krim à son père se retrouve dans maintes familles de Kabylie. Le père de Belkacem n’est d’ailleurs pas au bout de ses ennuis. On l’a convoqué. On est brave avec lui. Pour l’instant. 

Yves Courrière

Les fils de la Toussaint

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