Psychanalyse et culture en Algérie

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Sigmund Freud
Sigmund Freud

Le psychiatre Karl Abraham, un disciple de Freud, dans un livre intitulé Psychanalyse et Culture a surtout concentré ses efforts sur un mythe autrement plus éloquent et plus universel qu le mythe d’Oedipe que Freud appelait « un mythe trop étroit ». C’est-à-dire le mythe de Prométhée, ce voleur de feu !

La première constatation que fait Karl Abraham à ce sujet, c’est que Prométhée qui déroba le feu aux dieux pour le donner aux hommes et entra ainsi en conflit avec Zeus, « un mythe universel et commun aux peuples indo-européens, sémites, germaniques.. » Il faudrait expliquer le fait que la collectivité formatrice des mythes se conduit vis-à-vis de ses créations comme le rêveur vis-à-vis de ses rêves. 

Freud nous apporte la clef de cette énigme. La théorie du rêve culmine dans cette phrase : »Le rêve est un fragment dépassé de la vie psychique infantile » ; Cette affirmation est élaborée à partir de la manière selon laquelle la mémoire fonctionne. Du coup, on peut déduire de ce qui précède que le mythe est un fragment dépassé de la vie infantile de la collectivité ! Il contient, sous une forme voilée, les désirs de l’enfance de la collectivité. Parce que -en effet- les mythes ont pris naissance au temps préhistorique de la collectivité, dont nous n’avons eu aucun témoignage précis, concret et scientifique, chaque peuple a voilé l’histoire de ses origines à sa façon ; en tenant compte de certaines spécificités d’ordre tant physique que mental.

Karl Abraham
Karl Abraham

L’accumulation de ces mythes particuliers à une race, à une religion, ou à une zone géographique déterminée produit une culture. C’est-à-dire les différentes pratiques plus ou moins ritualisées, plus ou moins arrangées et plus ou moins enjolivées. La culture grecque est déterminée par les différents mythes (celui d’Oedipe, de Prométhée, d’Ulysse, d’Icare etc…) qui vont secréter une fonction culturelle infinie (Sophocle, Aristophane, Aristote, Socrate, Pythagore, Euclide…).

Tous ces créateurs qu’il soient poètes, philosophes, mathématiciens procèdent de la même démarche fondamentale, la mythologie grecque. Il s’ensuit que la fonction mythologique de la culture se fond, après un certain temps plus ou moins long, dans la fonction sociale « vitale ». 

C’est ainsi que l’idée d’élan vital découle très naturellement du mythe de Prométhée qui avait volé le feu pour permettre aux hommes de vivre. De même Pythagore, Platon et Euclide étaient les fondateurs de la géométrie et de l’arithmétique mais -avant tout- ils étaient des devins, des gens qui lisaient l’avenir pour les autres. C’est ainsi que le chiffre 7 est partout le nombre mythique parce que Pythagore en a inventorié toutes les propriétés arithmétiques qui en faisaient – scientifiquement- parlant – un chiffre exceptionnel. Sa mystification viendra du fait que la société superstitieuse de l’époque va le sacraliser parce que Pythagore était à ses yeux, un magicien et un sorcier avant tout !

Ainsi, nous trouvons toujours les mythes derrière toute production due à notre imagination ou à notre intelligence. Toute la culture humaine en est imprégnée parce que derrière les mythes se cache ce qui – dans notre enfance – nous a toujours étonnés, amusés ou terrifiés. Ainsi la culture a permis à Freud et à Karl Abraham comme à la psychanalyse contemporaine de préciser le rapport fondamental qu’il y a entre l’art et la création (y compris la création de mythes production typiquement humaine) d’une part et l’enfance d’autre part. L’enfance dans le sens large du mot avec ce qu’il y a en elle de préhistoire et de vieilles choses, dans cette chose incroyablement durable dans l’histoire de l’humanité et que l’on appelle : la peur…

Donc créer, faire de l’art dans le sens large de ces termes, c’est contourner sa peur. C’est dire que toute société et toute culture n’ont jamais cessé et ne cesseront jamais de secréter leur propre mythologie.

Notre société algérienne, non plus ! Et ce faisant, elle élabore sa vraie culture dont les racines sont plantées dans les profondeurs de son « infantilisme collectif ».

Rachid Boudjedra 

Samedi 23 Juillet 2016

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