Traité de la Tafna

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Malek Chebel

Qui connaît aujourd’hui la Tafna, ce petit fleuve de l’Ouest algérien qui traverse les Traras, se confond avec l’Isser et se jette dans la Méditerranée ? Pourtant, c’est à cet endroit que fut signé, le 30 mai 1837, le traité de la Tafna qui mit fin à la révolte de l’émir Abd el-Kader et ouvrit la voie à la véritable colonisation de l’Algérie. On doit à Bugeaud d’avoir mené les négociations et défini le périmètre géographique imposé à l’émir. Bugeaud avait de quoi se réjouir, car les premiers articles du traité montrent l’étendue des concessions que l’émir, sous la contrainte, dut accepter.

Des voix s’élevèrent à l’époque pour dénoncer l’accord, au prétexte que l’émir, sitôt le traité signé, l’eût récusé dans les faits et mît beaucoup de mauvaise volonté à l’appliquer. En voici l’article 2 : « La France se réserve : Dans la province d’Oran, Mostaganem, Massagran et leur territoire, Oran, Arzew, plus un territoire ainsi délimité : à l’est, par la rivière de la Macta et le marais d’où elle sort ; au sud, une ligne partant du marais ci-dessus mentionné, passant par le lac Sebga et se prolongeant jusqu’à l’Oued Malah (Rio Salado) dans la direction de Sidi-Saïd et de cette rivière jusqu’à la mer, de manière à ce que tout le terrain compris dans ce périmètre soit territoire français. 

Dans la province d’Alger : Alger, le Sahel, la plaine de la Mitidja bornée à l’est jusqu’à l’Oued Kadara et au-delà ; au sud, par la première crête de la première chaîne du Petit Atlas jusqu’à la Chiffa en y comprenant Blida et son territoire ; à l’ouest, par la Chiffa jusqu’au coude de Mazafran et de là par une ligne droite jusqu’à la mer, renfermant Koléa et son territoire, de manière à ce que tout le terrain compris dans ce périmètre soit territoire français. » À un tel article, humiliant pour l’émir, qui, en outre, « [devait] acheter à la France la poudre, le soufre et les armes dont il aura[it] besoin » (pour tenir en laisse ses ouailles), en répond un autre de pure forme, l’article 3 : « L’émir administrera la province d’Oran, celle de Tittery et la partie de celle d’Alger qui n’est pas comprise à l’ouest des limites indiquées dans l’article 2. Il ne pourra pénétrer dans aucune autre partie de la Régence… » La messe était dite. Les autres articles ne font que décrire l’état lamentable dans lequel se trouvaient alors les Algériens de l’Ouest : « L’émir s’engage à ne concéder aucun point du littoral à une puissance quelconque sans l’autorisation de la France » (article 13) ; « Le commerce de la Régence ne pourra se faire que dans les ports occupés par la France » (article 14). 

Évidemment, dans ces conditions et à partir de ce jour, l’émir, encore pourchassé et combattu la veille, devenait le plus grand ami de la France. Toute la propagande coloniale allait s’employer à le magnifier, à exalter sa sagesse, sa modération, son intelligence politique et même sa beauté physique. 

Le but était d’en faire une icône spirituelle, façon adroite d’impressionner et de faire réfléchir celles des tribus récalcitrantes qui étaient encore animées d’intentions belliqueuses. 

Il faudrait comparer le traité de la Tafna aux accords d’Évian pour comprendre l’abîme dans lequel tomba l’émir Abd el-Kader. En deux articles, l’administration coloniale avait parfaitement prouvé qu’elle contrôlait la situation et que les choix de Bugeaud étaient on ne peut plus pertinents, car le traité de la Tafna abolissait le front ouest, celui-là même qui empêchait la France de prendre d’assaut la ville qui résistait encore, Constantine. À l’époque, comme à celle du déclenchement de la guerre d’Indépendance, l’Est algérien était encore ce que les Arabes appelaient le balad as-siba (la « terre de révolte, la terre de la guerre »), ce qui explique la lenteur de la colonisation dans cette partie du pays.

Malek Chebel

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