Quand l’islam apparut, la péninsule d’Arabie (Jazîrat al-‘Arab) se trouvait, tant du point de vue religieux que sous l’angle politique et social, dans un état inorganique. Le manque d’homogénéité du pays y prêtait. Cette ample plate-forme granitique inclinée vers le golfe Persique, bordée de chaînes montagneuses, recouverte de sables et de coulées volcaniques, comprend en effet : une plaine côtière (tihâma) de largeur variable, malsaine et inhospitalière ; un rebord montagneux le plus souvent sauvage ; un plateau d’immenses étendues steppiques et désertiques (du nord au sud : Bâdiyat ach-Châm, Nefoud, Nejd, Rob‘ al-Khâli à peine exploré). Dans cet ensemble varié la différence de climat crée une opposition nette entre les pays du Sud (Yémen, Hadramaout) tournés vers l’océan Indien, qui connaissent grâce à la mousson de riches cultures, et l’Arabie septentrionale et centrale, soumise aux caprices de pluies rares et peu abondantes ; ici dominent les sédentaires, là les Bédouins nomades. Seules les oasis du Hedjaz sur la façade occidentale jouissent, en Arabie centrale, d’une situation privilégiée : émergeant des coulées volcaniques, Yathrib (la future Médine), Taïf, Khaïbar entourent la ville marchande et caravanière de la Mekke, située au fond d’un cirque montagneux voisin de la côte ; c’était là, au viie siècle, le cœur de l’Arabie.

Sédentaires et nomades étaient organisés en tribus indépendantes, chacune sous la direction d’un chaïkh ou sayyid. Parmi ces tribus on distinguait traditionnellement deux groupements rivaux, rattachés à la postérité d’Abraham : Arabes du Sud (ou Yéménites) descendant de Qahtân, et Arabes du Nord (ou Nizârites) descendant d’Ismâ‘îl (Ismaël). Ils se ramifièrent en branches nombreuses, dont quelques-unes – Qaïs, Qoraïch parmi les Nizârites, Lakhm, Kinda, Ghassân parmi les Yéménites –, jouèrent un rôle important dans l’histoire. Tenace, leur rivalité se poursuivit fort longtemps après les premières luttes entre Mekkois nizârites et Médinois yéménites au temps de Mahomet. L’Arabie du Sud, qui connut très tôt une civilisation avancée, fut occupée successivement par le royaume Minéen remontant au moins au ixe siècle avant notre ère, le royaume de Saba, qui tirait sa richesse de l’exportation des aromates locaux et du trafic des matières précieuses avec l’Inde (légende de l’Arabie Heureuse), puis le royaume Himyarite, apparu vers le iie siècle av. J.-C., mais tombé en décadence et envahi à la fin du ive siècle apr. J.-C. par les Abyssins d’Aksoum. L’Arabie du Nord entra plus tardivement dans l’histoire : ses Bédouins, grands chameliers ou petits conducteurs de moutons, protégeant moyennant tribut les quelques sédentaires qui les aidaient à vivre, ne furent jamais organisés. C’est seulement à l’époque de la décadence himyarite que la Mekke, transformée par la puissante famille des Qoraïch en « république marchande », hérita du trafic entre océan Indien et Méditerranée et devint le point de départ de caravanes régulières. En marge enfin de la péninsule Arabique, dans les steppes qui touchent à la Syrie, les tribus arabes qui émigraient vers le nord donnèrent naissance à plusieurs États : le royaume des Nabatéens (cap. Pétra), conducteurs de caravanes sédentarisés et aramaïsés, qui s’enrichirent par le commerce (ive av. au i er siècle apr. J.-C.), le royaume des Lakhmides (cap. al-Hîra) (328-622), et plus tardivement celui des Ghassanides, chargés par l’empereur byzantin de garder la frontière syro-palestinienne (ive siècle). De discordes entre souverains et vassaux profita momentanément le royaume naissant de Kinda, qui, malgré sa brève durée, marqua un effort vers une centralisation politique réalisée au siècle suivant. Si Lakhmides et Ghassanides s’étaient convertis au christianisme (nestorien ou monophysite), les Arabes de la péninsule avaient conservé leur religion, polythéisme peu évolué. Malgré les différences qui séparent les cultes mal connus de l’Arabie du Nord et du Sud, on peut y distinguer un ensemble de traits communs. Il existait ainsi des divinités locales ou tribales peu individualisées et souvent de caractère astral, censées résider en des pierres sacrées (bétyles) ; certaines semblent avoir été vénérées dans presque toute l’Arabie, telle al-‘Ozzâ (étoile du matin, Vénus).

Les Mekkois honoraient en outre deux déesses, Manât, déesse du bonheur, et Allât, déesse du ciel ; au-dessus d’elles se tenait Allâh (« le Dieu »), reconnu au viie siècle comme le « Seigneur du Temple » (la Ka‘ba de la Mekke). Mais au ive siècle, chez les semi-nomades de la steppe syrienne, Allâh restait loin derrière les autres divinités ; peut-être commença-t-il seulement sous l’influence de croyances étrangères à prendre la première place. On pratiquait des rites « déambulatoires » autour de pierres et objets sacrés (tels la « pierre noire » et le maqâm Ibrâhîm associés à la Ka‘ba qui était, dès avant l’islam, le centre d’un célèbre pèlerinage), tandis que les nomades transportaient processionnellement des bétyles protecteurs. Des interdictions sacrées entouraient ces idoles : territoire saint, où l’on ne pouvait ni tuer d’animal ni abattre d’arbre, et prescriptions de pureté rituelle obligatoires avant tout sacrifice. Les devins enfin étaient consultés pour tous les actes importants de l’existence et, censés recevoir leur science des « jinns », ils répondaient par des formules en prose rimée et rythmée à valeur magique (saj‘). Quant à la vie morale, elle était pratiquement inconnue.

Menant une existence rude, à laquelle seuls les plus forts résistaient, les anciens Arabes considéraient la force et la ruse, alliées parfois à une générosité théâtrale, comme les qualités suprêmes ; cette période, où les hommes s’abandonnaient sans retenue à leurs penchants, fut appelée par les musulmans la Jâhiliya (temps de l’« ignorance »). La seule obligation y était la vendetta qui d’ailleurs, au temps de Mahomet, ne s’appliquait plus avec rigueur. Certaines influences extérieures avaient pourtant pénétré avant le viie siècle à l’intérieur de la péninsule Arabique. Juifs et chrétiens y étaient installés : les uns à Khaïbar et Yathrib, les autres à Najrân, plus au sud. Dans la région de la Mekke, seuls les juifs constituaient des communautés organisées ; les chrétiens restaient dispersés et sans hiérarchie, fort peu nombreux dans la ville même où ils ne comprenaient guère qu’esclaves abyssins et artisans, tous gens de peu. Parfois cependant passaient des marchands chrétiens d’alHîra, mieux informés, peut-être, de leur propre religion.

Ces juifs et chrétiens, qui, bien que considérés comme étrangers, se trouvaient mêlés à la population composite de la Mekke, avaient-ils pu préparer les esprits à accepter le message monothéiste de Mahomet ? C’est ce que semblerait indiquer la mention faite dans le Coran de hanîf, personnages qui, sans appartenir à aucune communauté étrangère, étaient parvenus à se libérer de la religion traditionnelle pour croire en un dieu unique.

QUE SAIS-JE ?
L’islam
( Dominique Sourdel )

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Commentaires