■ Un des grands chantiers du défunt Houari Boumediène, même s’il a été quelque peu éclipsé par les autres grandes tâches d’édification,
a été sans conteste la réforme sportive, initiée en 1977.
Au milieu des années 1970, le
sport en Algérie battait largement de l’aile et les résultats
internationaux de différentes
sélections étaient très aléatoires, souvent médiocres. Les clubs dits “civil”
étaient structurellement défaillants et
les moyens manquaient largement.
Toute l’organisation du sport en Algérie était interpellée sans que l’autorité
politique ne trouve le moyen de pallier l’obsolescence qui frappait la plupart des disciplines.
Nos équipes
nationales mal équipées et mal préparées ne parvenaient pas à atteindre le
niveau international et étaient souvent
éliminées prématurément des grandes
compétitions, ce qui portait un coup
sévère au moral national. Malgré la
vigueur d’une jeunesse talentueuse
qui a eu à le démontrer deux années
auparavant lors des Jeux méditerranéens d’Alger 1975, la pratique sportive dite de masse, et donc tout à fait
amateure si chère au modèle socialiste, déclinait à telle enseigne qu’elle
n’avait plus aucun attrait dans la vie
quotidienne des Algériens.
Un fait spectaculaire intervenu au
milieu de l’année 1977 allait toutefois
remettre en cause les choses et pousser le pouvoir politique à précipiter la
réorganisation du sport national.
Le
19 Juin 1977, au stade du 5 Juillet d’
Alger, à la finale de la coupe
d’Algérie entre la JS Kabylie et le NA
Hussein Dey, l’hymne national est
copieusement sifflé par les supporters
kabyles en présence du président
Houari Boumediène et des membres
de son gouvernement. Dès les jours
suivants, le défunt président, sans
doute marqué par cet incident qui risquait, selon l’une de ses confidences,
de mettre à mal la cohésion nationale,
sollicitera un collège d’experts pour
analyser la situation et proposer des
solutions pour dépassionner l’atmosphère sportive et remettre le sport sur
les rails du progrès.
Une expérience
originale et tout à fait inédite se
concoctera en été dans des bureaux de
la présidence de la République, avant
que ne soit effectué un large remaniement ministériel dès la rentrée de septembre, qui verra l’inamovible
ministre de la Jeunesse et des Sports
de l’époque Abdellah Fadhel (1965-
1977) céder sa place à un jeune diplomate du nom de Djamel Houhou.
Au premier Conseil des ministres de
septembre, le ton est donné : le sport
algérien connaîtra une réforme en
profondeur. Cette décision vient à
point nommé pour bouleverser complètement des structures surannées,
une pratique à bout de souffle atteinte
partiellement par le chauvinisme, la
manipulation et les calculs clubards
étriqués. Un communiqué fleuve du
Conseil des ministres indiquait les
mesures suivantes : Les associations
auront une nature statutaire.
Elles
seront scindées en deux parties :
l’Association sportive communale
dite de type amateur (A.S.C.) et
l’Association sportive de performance
(A.S.P.) qui intéressera les clubs de
l’élite. Les associations sportives
communales formeront la composante du sport dit de masse.
Elles seront
prises en charge par les APC ou, pour
certaines d’entres elles, par des structures étatiques de différents secteurs
(santé, justice, douane, université,
entreprises publiques moyennes, etc.).
Les autres clubs huppées de la division participeront à une compétition d’élite et se pareront du statut
d’association de performance formées
d’athlètes dits de performance.
Les
sportifs qui s’y affirmeront, (notamment au niveau des équipes nationales) se verront décerner le statut
d’athlètes de haute performance et se
verront leurs émoluments relevés. Les
ASP seront ainsi parrainées par les
plus grandes sociétés nationales, telles
que Sonatrach, la Société nationale de
sidérurgie (SNS), la Société électronique Sonacat, la CNAN, etc.
Comme il n’existait pas en ce temps là de primes à la signature de la licence et que les effectifs des clubs étaient
assez correctement stabilisés, les athlètes étaient intégrés à l’entreprise et y
bénéficiaient d’une formation professionnelle adéquate, afin de jouir d’un
profil de carrière en vue de les rassurer sur leur avenir. Il est évident
qu’avec la force financière colossale
dont se caractérisaient les grandes
sociétés nationales, monopolistiques
de leur secteur d’activité, les budgets
des clubs devenaient conséquents et
étaient gérés par des cadres de l’entreprise, nouveaux dirigeants à la compétence incontestable.
Le plus douloureux dans cette opération d’envergure fut le changement
partiel de sigle de tous les clubs dits
civils. Sous la houlette d’une centralisation du pouvoir au sein du ministère
de la Jeunesse et des Sports, celui-ci
allait d’autorité dénaturer le siglage et
le rendre conforme avec son nouveau
“logeur”, à savoir la société nationale
de parrainage. Il y était notamment
fait interdiction de se déclarer ou de
faire référence à une région donnée.
Des dénominations franchement à la
limite du farfelu allaient naître comme
la jeunesse sportive Kawkabi (JSK),
Mouloudia des pétroliers d’Alger
(MPA, ex MCA), Raed Solb de
Kouba (RSK, ex RCK), Jil Sakakine
Bordj Menaiel (JSBM), Milaha
Athletic d’hussein Dey (Mahd, ex
Nahd ), union sportive de la kahraba
d’Alger (USKA, ex USMA) et on en
passe …
Une nette désaffection du public se
fait immédiatement ressentir, ce qui a
pour effet de dépassionner la compétition et de permettre aux clubs de
mieux être en phase avec des actions
de formation puisqu’il était fait obligation aux ASP d’ouvrir des écoles de
sport (chaque association de performance avait en charge plusieurs disciplines) et de consentir un meilleur
investissement aux jeunes catégories.
Une saison plus tard, à la faveur des
résultats encourageants que commençait à générer cette politique, le public
reprendra le chemin des enceintes
sportives. C’était le début de la période dorée du sport national.
En 1978,
l’Algérie survolera des Jeux africains
relevés qu’elle a eu a organiser sur son
sol. Des performances qu’elle confirmera un an plus tard aux Jeux méditerranéens de Split. Le football en a
été l’hirondelle (troisième place après
avoir fait sensation en demi-finale
face à la Yougoslavie). Puis nos footballeurs à la légende naissante s’en
iront étriller la redoutable équipe du
Maroc à Casablanca (5 buts à 1 puis 3
à 0 à Alger) dans un match mémorable
qui intervenait dans un contexte particulier (absence de relations diplomatiques suite à l’affaire du Sahara occidental). Du jamais-vu jusque-là.
Le
football fort d’un amalgame de
joueurs jeunes et talentueux et de
moins jeunes ira de victoire en victoire (Coupes d’Afrique, bonne tenue en
Coupe du monde 1982 et 1986 ). Les
autres disciplines n’étaient pas en
reste puisque tant le handball (cinq
couronnes africaines consécutives)
que la boxe ou l’athlétisme pour ne
citer que ceux-là connaîtront leurs
heures de gloire. Entre-temps, Houari
Boumediene n’était plus là pour
récolter les fruits d’une révolution
sportive qui a redonné sa fierté au
peuple algérien, que ce soit au niveau
continental qu’international.
Les
jeunes journalistes que nous étions à
l’époque se transformaient en conférenciers d’occasion, lors des manifestations internationales ou dans des
centres de presse à l’étranger, assaillis
par la curiosité des confrères maghrébins et africains qui voulaient
connaître la clé de la réussite du sport
algérien. Déchargé des pesanteurs
négatives, fort d’une volonté politique
à toute épreuve et de la couverture des
moyens de l’Etat, la reforme sportive
a donné des fruits délicieux durant la
décennie 80. Cette politique sera malheureusement abandonnée au lendemain des émeutes d’Octobre à cause
d’une réorientation de la politique
économique nationale sous Chadli
Bendjedid sonnant du coup le déclin
du sport national.
Les sociétés
déstructurées et en pleine difficulté
allaient se séparer progressivement
des clubs les abandonnant à leur sort.
Le sport algérien rentrera dès lors
dans un long tunnel duquel il n’est pas
sorti à ce jour.
Omar Kharoum
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