L'éternel Jugurtha

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Jugurtha Jean Amrouche

On reconnaît d’abord Jugurtha à la chaleur, à la violence de son tempérament. Il embrasse l’idée avec passion ; il lui est difficile de maintenir en lui le calme, la sérénité, l’indifférence, où la raison cartésienne échafaude ses constructions. Il ne connaît la pensée que militante et armée pour ou contre quelqu’un. Il aperçoit l’idée pure comme un éclair au flanc de l’orage. 

L’imagination:

L’imagination aussitôt s’en empare, lui donne une forme et l’exagère en vision. Privé de la chaleur de l’enthousiasme et du ragoût de l’émotion, Jugurtha se désintéresse du lent progrès de la pensée abstraite. Il est poète ; il lui faut l’image, le symbole, le mythe…      

La Grandeur: 

La grandeur du caractère réside dans la constance. Elle se manifeste bien plus dans les petites besognes que dans les grandes ; qui n’est pas capable de s’attacher aux petites besognes n’est pas capable non plus de mener à fin les longs desseins, qui exigent continuité et persévérance dans l’effort. Jugurtha est spontanément noble ; il a du goût pour le drapé, pour l’emphase qu’il ne distingue pas nettement de l’enflure…      Jugurtha ne mâche pas longtemps la centaurée du remords. Il se complaît dans l’indifférence atone, où il s’abreuve du plus pernicieux des poisons et jusqu’à la nausée : la tentation de l’absolu. Non pas l’impossible perfection, car l’idée de perfection repose sur la reconnaissance des limites…      

Il a un goût très vif pour le plaisir violent et âpre. Il s’abandonne à la volupté du même cœur qu’il se jette dans l’action, ignorant toute mesure et tout tempérament. Il est assez lucide pour apercevoir la raison de la volupté : qu’elle puisse conduire à l’extase, au néant où la conscience d’être au monde s’abîme dans le vertige ; mais il sait que la nuit est un refuge précaire : on remonte toujours à la conscience…    

Conclusion   

Ce qui explique l’accent du désespoir, permanent et incurable, la mélancolie déchirante qui font le charme des grandes complaintes du désert. Jugurtha y chante ce qu’il éprouve lorsqu’il se penche sur lui même ; comme Narcisse sur sa fontaine, il exhale une plainte où l’on entend comme un sanglot éternel le désespoir de l’homme orphelin, jouet de forces toutes-puissantes qui l’écrasent. Ces forces ne sont pas seulement les forces extérieures ; les plus redoutables, il sait bien …      

Jean Amrouche

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