"Si j’avais à écrire l’histoire de la colonisation française en Algérie, je la ferais commencer au lendemain de la défaite de l’Empire. C’est Waterloo qui explique, le mieux, Sidi Ferruch.
On rattache l’expédition de 1830 à un prétendu coup d’éventail donné par le dey Hussein à l’aventurier Duval, consul de France. Les préparatifs de cette expédition étaient, en réalité, antérieurs à cet « incident ». Donc, s’il n’avait pas existé, il aurait été créé de toutes pièces pour justifier l’agression.
Les raisons sérieuses de la conquête de l’Algérie son ailleurs. Depuis le Moyen Âge, quatre puissances européennes se disputaient la maîtrise des mers, les comptoirs commerciaux et les colonies : la France, l’Angleterre, l’Espagne et le Portugal.
Les trois dernières avaient fini par fonder des empires de peuplement et d’expression. Elles finirent par faire souche. On parlait espagnol et portugais en Amérique du Sud et dans une partie de l’Asie. On parlait anglais en Amérique du Nord et aux Indes.
La France, en revanche, multiplia les insuccès.
Après s’être installés en Asie, dans les deux Amériques, en Afrique, les Français furent contraints de céder les plus importantes de leurs possessions. Depuis les défaites de Louis XV et la perte du Canada (1763), depuis la révolte et l’indépendance de Saint-Domingue, depuis la vente de Louisiane aux États-Unis (1803), depuis enfin le second traité de Paris (1814), la France n’avait pratiquement plus d’empire colonial. Ses possessions d’outre-mer étaient passées en d’autres mains. Du grand domaine, il ne lui restait plus que quelques îles.
Face à l’expansion et à la prospérité commerciale de la bourgeoisie européenne, celle de la France ne pouvait demeurer dans un cadre réduit par ces échecs successifs. Les nombreuses rivalités qui opposaient entre elles des puissances européennes expliquent à elles seules les actes « colonialistes » du capitalisme français.
La pensée dominante de ce capitalisme fut la reconstitution d’un grand empire et la création de colonies qui seraient non seulement de vastes marchés de consommation et une source de matières premières nécessaires à son industrie, mais aussi des « terres d’expression et de race françaises ».
La bourgeoisie française jeta donc son dévolu sur l’Algérie et le Maghreb arabe, sans se préoccuper, outre mesure, des conditions démographiques et humaines de l’Afrique du Nord. Sans se préoccuper surtout de sa civilisation et de sa haute personnalité."
Ferhat Abbas, "La nuit coloniale"
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