
Ce Tatar de Crimée, né dans le village de Gaspra, étudie à Moscou et vit à Paris, puis en Turquie. Journaliste, éducateur, il fonde en 1882-1883 en Crimée, à Baghtché-Séraï (Bakhtchesaray), le journal Targuman (« L’Interprète » – son intitulé complet est Targuman-i Ahval-i Zéman ou L’Interprète des événements contemporains), le premier journal rédigé en turc et publié en Russie. A cette époque, la question de la cohabitation de la culture autochtone, encore imprégnée de la mentalité ancienne, et la culture nationale russe imposée soulève de graves problèmes d’intégration des nationaux de Crimée dans le vaste ensemble de la Russie orthodoxe.
Dans une visée résolument réformiste, Targuman, qu’il dirige jusqu’en 1914, se fait l’écho des recherches menées par les makatib (ou maktabs), établissements d’enseignement de l’islam et de la langue arabe. Il s’agit pour Gasprinsky de promouvoir une nouvelle ère pour les peuples de la Crimée avec, en outre, la nécessité d’engager des réformes structurelles profondes appelées uçul-i jadid (voir Jadidisme*), dont il est en quelque sorte l’initiateur. Selon Yahya Abdouline, Targuman est resté pendant vingt années « le principal organe de référence en matière de réforme de l’éducation chez les peuples musulmans turcophones de l’Empire russe ». Les thèmes développés dans les différentes livraisons sont le modernisme, le progrès social des musulmans russes (avec un appel original à l’union de tous ces peuples de confession musulmane des Balkans jusqu’en Chine sur la base d’une unité de langue et de pensée), la réforme de l’enseignement religieux, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la dénonciation du clergé musulman sclérosé et corrompu, sa compromission avec la Russie tsariste, et même quelques matières dites « scientifiques » en langue russe. Mais le thème dominant est la modernisation de l’éducation des masses à travers la mise à niveau de l’enseignement général, la rénovation de la foi avec l’abandon de certains archaïsmes et l’apprentissage de la langue arabe.
Outre la revue Targuman, Gasprinsky est l’auteur de L’Islam russe Pensées et notes sur les observations d’un musulman, une brochure largement diffusée à Boukhara et, au-delà, à Samarkand et à Tachkent, qui fait de son auteur le plus influent des réformateurs boukhariotes. Son credo, « Unité dans la langue, dans la pensée et dans l’action » (Dilde, Fikirde, Isde birlik), irrigue les attentes et nourrit les aspirations des anciens. Il est surtout suivi religieusement par un grand nombre de jeunes et talentueux disciples qui se conformèrent dans tous les actes de la vie
Source(s):
Dictionnaire des réformateurs musulmans des origines à nos jours (Malek Chebel)
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